CAN : LA REVANCHE DES ENTRAINEURS AFRICAINS SUR LES "SORCIERS BLANCS"

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Bravo M. Stephen Keshi !

En Coupe du monde, ils sont deux – Mario Zagallo et Franz Beckenbauer – mais dans le foot africain, c'est du jamais vu. Pour la toute première fois, un homme couronné en tant que joueur lors de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) vient de soulever à nouveau le trophée mais avec le costume d’entraîneur cette fois.

 

Dans le rôle du héros, Stephen Keshi, actuel coach du Nigeria et vainqueur de la CAN en 1994. Après plusieurs années difficiles, les « Super Eagles » – le surnom des Nigérians – ont déboulé en finale sous la houlette de cet ancien joueur du RC Strasbourg.

James Kwesi Appiah, son homologue du Ghana, premier entraîneur originaire de l’ancienne Gold Coast à prendre la sélection des « Black Stars » depuis une décennie, a, quant à lui, échoué de justesse en demi-finale.

Il s’en est ainsi fallu d’un rien pour que l’on assiste à un bras de fer entre deux coaches africains lors du dernier acte de la CAN 2013. Finalement, ce dimanche, le Nigeria affrontera l’enthousiasmante équipe du Burkina Faso, entraînée par le Belge Paul Put.

En quarts, sur 8 coaches, 5 Africains

Peu importe : même si le Burkina l’emporte, les coaches africains ont déjà pris leur revanche sur les « sorciers blancs ». Il y avait neuf entraîneurs étrangers contre sept Africains à l’entame de la compétition. En quarts de finale, la proportion s’est inversée : les locaux étaient en position de force (5 sur 8).

Dans la riche histoire entre le ballon rond et l’Afrique, les entraîneurs européens ont longtemps été érigés en messies. Depuis le début des « seventies », les grandes nations du foot africain ont été majoritairement dirigées par des entraîneurs étrangers. En quarante ans :

  • le Maroc a fait appel à dix-neuf « experts » étrangers contre quinze nationaux ;
  • le Cameroun à dix-neuf Européens contre sept locaux ;
  • le Ghana à vingt contre quatorze ;
  • la Côte d’Ivoire à seize contre quatre.

Au Ghana, l’amour des coaches brésiliens, puis yougoslaves

En Coupe du monde, le constat est le même. De 1970 à 2010, les sélections africaines y ont été encadrées par dix-huit entraîneurs non-africains et seulement huit nationaux.

Pourtant, rien ne prouve qu’ils ont de meilleurs résultats, au contraire : seulement onze expatriés ont remporté la CAN en s’asseyant sur le banc d’une sélection africaine contre quatorze victoires pour les locaux. Mais ces « sorciers blancs » plaisent beaucoup.

Claude Boli, historien du football sport à l’université de Leicester (UK) :

« Il y a d’abord des raisons historiques, bien sûr. Ce sont par exemple les colons français qui ont importé le football en Afrique de l’Ouest. Lors des indépendances, les liens sont restés et comme l’Afrique manquait alors de cadres techniques, ce sont les Français qui ont été appelés à la tête des sélections. »

Le même phénomène s’est reproduit à l’échelle du continent. Les pays anglophones, comme le Ghana ou le Nigeria, ont un temps voué un culte aux Brésiliens, avant de s’en remettre aux Yougoslaves. Quant aux pays d’Afrique centrale, ils s’appuyaient plutôt sur les Allemands.

« Pour réussir, tu dois fermer les yeux et les oreilles »

Mais l’histoire coloniale n’explique pas tout. Les dirigeants des fédérations africaines exigent souvent un droit de regard sur l’aspect sportif. Et ne veulent pas voir leur influence réduite par le succès d’un coach local, dont la voix se ferait plus puissante en cas de succès.

Stephen Keshi, l’entraîneur aujourd’hui encensé du Nigeria, a ainsi failli passer à la trappe quelques jours avant la CAN 2013. Des rumeurs couraient que le ministre des Sports nigérian souhaitait le démettre de ses fonctions après un désaccord à propos de la composition du groupe de joueurs retenu pour le tournoi. Au Guardian :

« Ici, tout le monde [au sein de la fédération, ndlr] veut te dire comment tu dois jouer. Pour réussir, tu dois fermer les yeux et les oreilles et faire ce que tu penses. »

Le manager du Ghana, Kwesi Appiah, abonde dans le même sens :

« Quand tu es un coach noir, il y a trop de personnes qui affirment : “Tu ne pourras pas réussir, tu n’es rien.”

Dans cette optique, engager un Européen qui pliera ses valises une fois sa mission terminée est une solution préférée par ceux qui, dans l’ombre, tirent les ficelles.

Mais dans les bureaux des fédérations, les mentalités et les méthodes évoluent. Certains dirigeants ont compris que les ex-footballeurs africains, notamment ceux qui se sont expatriés dans les grands clubs européens, étaient maintenant largement au niveau des Européens en matière de connaissance tactique et de légitimité.

“Il n’y a pas de différence entre un coach étranger et un coach local ”, affirme Kwesi Appiah.

Au Nigeria, la réussite des joueurs locaux

De plus, les locaux ont l’avantage de bien connaître le championnat de leur pays natal et les joueurs qui y évoluent. La réussite du Nigeria dans cette CAN 2013 repose sur une ossature de footballeurs du cru, quand plusieurs stars expatriées en Europe, comme Ameobi, Odemwingie ou Obafemi Martins, ont été écartées pour ne pas perturber l’équilibre du groupe.

Résultat, pour la première fois depuis 1990, des Nigérians jouant au pays, en l’occurrence Sunday Mba et Wani Wolves, ont marqué lors d’une rencontre de la CAN. 

C’est vrai que le CV de ses coaches locaux n’a rien à envier à celui de la plupart des “ sorciers blancs ”. Mis à part quelques exceptions “ d’étrangers ” passionnés par le foot africain – citons Claude Leroy (sept CAN à son actif), Alain Giresse ou Patrice Carteron – ce sont en effet souvent des “ seconds couteaux qui sont recrutés par les sélections africaines ”, note Claude Boli, auteur de “ Football : le triomphe du ballon rond ” :

“ L’Afrique est pour eux un lieu de rebond. Ils ne sont plus dans le coup en Europe et ils viennent chercher du travail sur le continent. ”

Combien de “sorciers noirs” en Europe ?

De grosses pointures débarquent bien de temps en temps. Souvenons-nous par exemple de l’expérience du réputé entraîneur suédois Svan-Göran Ericksson à la tête de la Côte d’Ivoire.

Mais, les expériences tournent souvent court, la principale motivation étant généralement le nombre de zéros affichés sur le chèque.

Pas étonnant dans ces conditions que la proportion d’entraîneurs africains à la tête de sélections du continent soit en nette progression depuis le début des années 2000, principalement en Afrique subsaharienne. Les pays du Maghreb cultivent, quant à eux, depuis longtemps une plus forte tradition d’entraîneurs locaux.

Le nombre de “sorciers noirs”, de coaches africains, entraînant une sélection du reste du monde est, quant à elle, stable : zéro.

SOURCE : Rue89