CHLORDECONE: QUELLES CONSEQUENCES JURIDIQUES ?

La question des responsabilités et des conséquences juridiques de cette scandaleuse affaire est sur toutes les lèvres. D’aucun se souvient de ce  fameux « responsables mais… non coupables » lâché en pleine affaire du sang contaminé. Qu’en sera-t-il dans le procès du Chlordécone ? Des plaintes ont été déposées en Guadeloupe, d’autres suivront sous peu en Martinique. 
Entretien avec Georges-Emmanuel GERMANY, 37 ans, né au Lorrain (Martinique), avocat au barreau de Fort de  France.

 

LTA : Vous avez été convié à prendre part au Forum Citoyen qui a suivi la présentation du livre « Chronique d’un empoisonnement annoncé ». Pourquoi avez-vous accepté cette invitation tout en sachant que c’est là un engagement courageux qui peut-être source d’ennuis ?
Maître GERMANY : Lorsque j’ai été contacté par les auteurs de ce livre, je ne l’avais pas encore lu. Ils ont appelé à mon cabinet à Fort-De-France, alors que je me trouvais à Paris pour y subir une opération chirurgicale délicate. En rentrant en Martinique guéri mais convalescent, j’ai pris le temps de lire cette enquête méticuleuse et d’en rencontrer les auteurs qui eux, méritent plus que moi d’être qualifiés de courageux. En y repensant, je me suis dit que les voies de Dieu sont définitivement impénétrables, ou pour les laïcs, qu’il n’y avait pas de hasard. Quant aux soucis dont vous parlez, je les connais déjà, ils ne sont pas pour ceux qui font face à l’ETAT ou aux puissants, mais pour ceux qui par leur fuite mettent en péril leur propre avenir. J’aurai peut-être des ennuis, mais je ne mourrai pas d’ennui en me battant pour la défense de la Martinique et des Martiniquais. L’important c’est qu’aujourd’hui nous ne sommes pas seuls à défendre ces valeurs et qu’il leur sera difficile de nous arrêter tous. ENCADRE A METTRE EN EXERGUE +++

LTA : Dans ce livre, la question des responsabilités a été souvent évoquée. Sur le plan juridique quelles sont les différentes procédures que l’on pourrait entreprendre pour que les coupables de cette scandaleuse affaires soient effectivement poursuivis ?
Maître GERMANY : il est vrai que la poursuite des responsables sur le plan pénal est celle qui vient tout de suite à l’esprit car le droit pénal est la matière juridique la plus médiatisée. Mais elle n’est pas la seule voie possible. Souvenons-nous du « responsable mais pas coupable ». Il existe selon nous des responsabilités administratives, depuis le plus haut sommet de l’Etat, des responsabilités civiles sociales ou commerciales dans le cadre de la mise sur le marché de produits dangereux pour la santé des agriculteurs et des consommateurs et pour l’environnement. L’ouvrier agricole malade pourra saisir le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, les régies d’eau seront justiciables avec le Préfet de la qualité de l’eau devant le Tribunal d’Instance ou Administratif. Toutes les pistes seront explorées pour trouver les responsables, même s’il faut recourir à des procédures et à des autorités internationales pour aller jusqu’au bout de la recherche de la vérité et de la réparation des préjudices subis.

LTA : Lors de ce Forum, l’idée de créer une association pour ester en justice a été avancée. Près de 114 participants ont manifesté le souhait d’y adhérer. Quel est l’intérêt d’une telle association ?
Maître GERMANY : En droit anglo-saxon des personnes qui ont un intérêt commun ou des préjudices causés par la même cause et les mêmes auteurs, peuvent agir ensemble dans le cadre des « class-action ». Le cadre associatif a ses limites en droit français, surtout en droit pénal français, mais il faut bien s’organiser selon les règles du droit en vigueur. L’association qui sera créée pourra avoir un objet très large qui dépasse l’action judiciaire. Elle permettra également de faire des procès mais également d’accompagner et même d’encourager les actions individuelles des victimes qui conservent le droit individuel d’agir en justice.

LTA : Le recours à la justice et au droit est-il vraiment le seul ou le plus sûr moyen de régler les problèmes posés par cette affaire d’empoisonnement ?
Maître GERMANY : Il est évident que dans les affaires de l’amiante, du sang contaminé, et d’autres affaires de ce type où des préjudices ont causés à un grand nombre de personnes, la seule réponse judicaire n’est pas suffisante. Toute action en justice prend du temps, et le temps judicaire n’est pas le temps des victimes qui souvent meurt avant l’audience. Les problèmes de la prescription de l’action publique ou de la saisine de la Haute Cour de Justice où l’on juge très rarement les membres du Gouvernement, montre également que le droit a organisé aux yeux de certaines victimes une certaine impunité.

Le problème dans notre affaire de pollution des terres et des productions agricoles est qu’il y urgence à ce que soient prises immédiatement toutes les mesures de dépollution et de protection de la santé des consommateurs de Martinique. La solution ne peut donc être seulement judiciaire, elle doit être d’abord et avant tout politique. C’est pourquoi j’en appelle à tous nos élus pour qu’ils s’unissent et exigent une commission d’enquête parlementaire, au besoin au cours d’une réunion du Congrès entre le Département et la Région. C’est à eux d’exiger de l’Etat la mise en oeuvre d’un plan ORSEC ou Marshall comme en temps de catastrophe naturelle ou d’après-guerre, avec au besoin un arrêté qui permettra l’indemnisation des agriculteurs qui ne pourront pas cultiver leurs terres polluées. Toute la chaîne agricole et de consommation de nos produits étant en danger, il faut impérativement mettre en place un politique de label des produits venant des terres non polluée car il en reste, fort heureusement, et organiser une enquête épidémiologique sur toute notre population.

Entretien Jean Belleterre