ELEVATION DU NIVEAU DE LA MER ET VULNERABILITE DES ILES ANTILLAISES

Circonscrit à l’est par l’Océan Atlantique (plus de 82 millions de km2) et à l’ouest par la Mer des Caraïbes (moins de 2 millions de km2), l’archipel des Antilles se compose de 25 entités insulaires marquées par une forte hétérogénéité.

En dehors du fait
qu’elles présentent des caractéristiques morphologiques différentes
[des îles karstiques plates (Marie-Galante, par exemple) s’opposent à
des îles volcaniques hautes  (Sainte-Lucie, Montserrat, Saba, la
Martinique, etc.)], ces îles bénéficient de situations
socio-économiques diversifiées. Par exemple, si les îles Caïmans sont
considérées comme un archipel riche, puisque disposant d’un PIB par
habitant de près de 50000 dollars (en raison de leurs activités
bancaires offshore), les îles voisines comme la Jamaïque, Cuba ou
encore Hispaniola connaissent des difficultés les conduisant à des
situations quasi insurrectionnelles. 


Parallèlement, on observe une inégale répartition des populations, puisque Porto Rico est une île surpeuplée (densité supérieure à 620 hab./km2), alors que les îles Caïmans sont quasiment « vides » (moins de 100 hab./km2). Si l’hétérogénéité est bien le maître mot de l’archipel antillais, ce dernier bénéficie tout de même d’un élément fédérateur : l’inversion de son modèle de développement qui induit une forte littoralisation des hommes et des activités.
En règle générale, le développement d’une île se fait à partir de son centre, puis il s’étale de façon centrifuge jusqu’aux marges côtières.
Dans les Antilles, ce modèle ne fonctionne pas car, les îles étant pour la plupart montagneuses, aucune activité n’a pu prendre appui sur les montagnes centrales. Le centre géographique des îles s’est donc transformé en marge économique, alors que les marges géographiques (les littoraux) sont devenues des centres économiques ; cette inversion du modèle de développement s’est traduite par une concentration des hommes et des activités sur des marges côtières écologiquement riches, mais de plus en plus dégradées.
Les dernières études prospectives de l’ONU indiquent que ce sont 17,7 millions d’individus qui vivent actuellement sur les côtes antillaises. Cette situation ne poserait pas de problème, si les modifications climatiques planétaires ne tendaient à une élévation du niveau de la mer.

Avant la révolution industrielle (1860), la teneur en gaz carbonique (CO2) dans l’atmosphère était estimée à 260 ppmv (partie par millions de volume). Aujourd’hui, cette teneur oscille entre 375 et 380 ppmv, et les études prospectives indiquent qu’à l’horizon 2050, cette teneur devrait dépasser 410 ppmv.
La concentration de gaz à effet de serre (le CO2, le méthane, le protoxyde d’Azote, etc.) dans l’atmosphère, bloque les rayonnements infrarouges émis par la terre, ce qui accroît la température moyenne de la troposphère. Au cours des 80 dernières années, la température moyenne de la terre a cru de + 0,6 degré Celsius et les climatologues estiment qu’au cours des 80 prochaines années, la température devrait s’élever de + 1,4 à + 5,6 degrés Celsius. Il est évident que dans ces conditions, le niveau moyen des mers devrait s’élever en raison de la fonte des glaces polaires et de celle des glaciers de haute montagne.

Pour tenter d’apprécier les variations eustatiques (variations du niveau de la mer) susceptibles d’affecter les côtes antillaises, une analyse prospective a été réalisée en partant du postulat suivant : en raison du réchauffement global de la planète, le niveau de la mer dans le bassin antillais pourrait s’élever de 1,5 mm par an. En réalité, cette hypothèse de travail est largement sous-estimée, puisque de nombreuses régions à travers le monde connaissent actuellement des variations eustatiques annuelles de + 2,5 mm à + 3 mm. Toutefois, en partant de cette hypothèse, à l’horizon 2050 le niveau de la mer devrait s’élever d’un peu moins d’une dizaine de centimètres.

En propageant cette élévation à l’échelle des côtes antillaises, il apparaît qu’elles sont toutes très vulnérables. Par exemple, les deux tiers du littoral cubain devraient être ennoyés, de même que toutes les côtes basses des îles des Petites Antilles ; l’intrusion marine devrait même atteindre par endroit une extension horizontale de plus de 800 m. En couplant cette élévation du niveau de la mer – d’une dizaine de centimètres – avec une surcote marine (marée de tempête) liée au passage d’un ouragan, tout le centre historique de Fort-de-France devrait être ennoyé et de vastes espaces dédiés aux activités industrielles et portuaires devraient l’être à leur tour.

Face à ce constat, mais plus encore, face à la vulnérabilité des populations antillaises, des mesures de sauvegarde devraient être prises rapidement. Si aux Etats-Unis, au Japon et aux Pays-Bas, ces questions animent les travaux de nombreux centres de recherche depuis plus de trois décennies, aux Antilles les populations semblent découvrir le problème aujourd’hui.
En Martinique, il aura donc fallu du colloque organisé les 11, 12 et 13 décembre 2006 par le Conseil Général (et cette initiative doit être saluée), pour que le grand public prenne conscience des incidences de l’élévation du niveau de la mer sur l’aménagement de l’île (1100 km2 sans arrière-pays) et plus généralement sur les 160000 personnes qui vivent en bordure côtière.

Face à cette situation, qu’est-il donc possible de faire ?

  1. Diffuser l’information très largement pour que la population soit informée du danger qu’elle encourt ;
  2. mettre en place très rapidement (dès le premier semestre 2007) un comité de réflexion pluridisciplinaire qui aura pour mission de proposer des solutions concrètes en vue de pallier l’élévation du niveau de la mer ;
  3. ce comité devrait participer activement aux groupes de réflexions qui existent déjà à l’échelle de la Caraïbe ; il serait d’ailleurs intéressant de fédérer tous les groupes de réflexions en une seule et même entité.


Si l’élévation du niveau de la mer est l’une des incidences les plus médiatiques des modifications climatiques contemporaines, il ne faut surtout pas perdre de vue que cela se traduira aussi par une accentuation de la fréquence et de la récurrence des ouragans. C’est donc dans cette optique qu’il faut préserver les mangroves et les récifs coralliens qui servent respectivement de zones tampons et de brise-lames naturels.

Les sociétés antillaises se trouvent donc à la croisée des chemins, car elles devront prendre prochainement des décisions qui engageront leur avenir.

Pascal SAFFACHE
Maître de conférences - Doyen de la faculté des lettres et sciences humaines (UAG)