HÔPITAL : LETTRE OUVERTE DES MEDECINS HOSPITALIERS A LA MINISTRE DE LA SANTE

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Lettre signée par 200 médecins en Martinique

Madame,

L’hôpital martiniquais est engagé dans un processus potentiellement irréversible : la dégradation quotidienne de la prise en charge des patients.

Nous avons alerté en 2012 la population, nos tutelles, le ministère sur les manquements graves qui impactaient directement la qualité et sécurité des soins que, nous tous soignants, pouvions offrir à nos patients.

 

Oui, nous avons accepté un processus de fusion et de redressement des comptes, jamais encore réalisé en France (6 500 personnels concernés), entre trois hôpitaux déficitaires (le principal EPS achève son exercice financier 2011 sur un déficit structurel de 55 millions d’euros, soit 19,6% du budget, et comptable de 97,5 millions d’euros ; à la Trinité et au Lamentin, le déficit structurel avoisine respectivement 25 et 33% du budget fin 2011). Les désordres provoqués par ces bouleversements sont tangibles au lit du malade tandis que les résultats positifs ne sauraient venir que sur le moyen et le long terme. Or notre plan de retour à l’équilibre financier est gangréné par notre absence de capacité d’autofinancement.

Un an après, le constat est terrible. La situation est plus critique en 2013 qu’en 2012. Notre déficit abyssal, notre trésorerie exsangue, nuisent directement à la sécurité et à la qualité des soins à nos patients ; 
 
On ne compte plus les fournisseurs qui refusent de continuer à travailler avec des retards de paiement de plus de 18 mois ce qui entraine des ruptures répétées de stocks de médicaments, de chimiothérapie, de réactifs biologiques essentiels (CRP, NF), de films radiologiques, de papier, de cartouches d’encre, ... 
 
La maintenance de nos structures et de nos matériels n’est plus assurée. Les matériels biomédicaux défectueux ne sont plus remplacés. Chaque jour, nous faisons face à des difficultés souvent insurmontables pour prendre en charge honnêtement nos patients (fibroscopes, bloc opératoire, instruments de base chirurgicaux, respirateurs de réanimation ou pédiatrique, appareils à ECG..). 
 
Les conditions d’hygiène se dégradent rapidement. Certains de nos taux d’infections nosocomiales sont 9 fois le niveau de métropole dans les services les plus critiques, sans que cela ne change malgré de nombreux signalements et malgré l’investissement quotidien des équipes médicales et paramédicales. 

Nous tenons à votre disposition la liste interminable des manquements quotidiens auquels tous les soignants doivent faire face. La liste est longue, intolérable, répétée.

Nous assistons, aujourd’hui, impuissants et désespérés, à la tiers- mondialisation de notre CHUM. 

Aujourd’hui, nous venons vers vous pour que vous sachiez que nos missions de soins ne peuvent simplement pas être menées à bien sans un minimum de moyens en deçà desquels la sécurité n’est plus assurée. Notre responsabilité médicale est directement engagée sur les plans tant éthiques que juridiques. Pouvons-nous continuer à rassurer nos patients sur la sécurité qui leur est due ? Notre devoir n’est il pas de les prévenir et éventuellement de les orienter vers des structures plus saines ? Quelle responsabilité avons-nous, tous à tous les niveaux, pour ces patients dont l’hôpital est souvent la seule ressource en soins (70% de l’hospitalisation est publique en Martinique), dans une région où la situation économique et sociale est précaire avec un PIB/habitant au 23è rang de l’ensemble des régions françaises, un taux de chômage à 21% de la population active (contre 10% en moyenne nationale) ?

Beaucoup d’entre nous, parfois les plus investis depuis des années dans l’amélioration des soins en Martinique, ont déjà appliqué un droit de retrait ou conseillé d’autres centres à leurs patients. Certains collègues de très haut niveau abandonnent un navire qui prend l’eau de toute part. A tout moment l’activité peut s’effondrer dans une dangereuse spirale récessionniste.

Pour garantir un égal accès à des soins de qualité aux 400 000 martiniquais, il est maintenant urgent d’apurer l’ensemble des dettes contractées auprès des fournisseurs (redonnant un souffle nouveau sur notre trésorerie), de tenir les engagements politiques du passé (revaloriser le coefficient géographique et le financement d’activités structurellement déficitaires (services de réanimation, de chirurgie cardiaque, de neurochirurgie, le TEP Scan, caisson hyperbare, néonatologie pédiatrie…), notamment en raison de l’étroitesse des bassins de population).

Le pilotage d’un tel projet de fusion mériterait un management à la hauteur des enjeux d’avenir plutôt qu’une valse de directeurs, d’accumulations de rapport d’Igas et de rejets des responsabilités entre ARS et Direction du CHU de la Martinique. Des décisions courageuses, ambitieuses doivent être prises dès maintenant. Il n’est plus temps pour l’errance décisionnelle et politique mais pour l’action en faveur des soins aux martiniquais aujourd’hui et demain. L’avenir des soins publics en Martinique ne peut passer que par une équipe de direction chevronnée qui réorganise notre CHUM dans son intégralité. Il en va de votre responsabilité pour que cet avenir soit celui de soins à la hauteur de ceux que les martiniquais méritent, comme nos concitoyens du continent.

Nous serions très honorés, Madame la ministre, de votre venue dans notre région. Ce serait, pour nous soignants, la manifestation de l’implication de l’état dans l’égal accès aux soins quelques soient les spécificités et les handicaps des territoires de la république.

LE SMH (Syndicat Martiniquais des Hospitaliers)