NOTE DE LECTURE : « CHRONIQUE D’UN EMPOISONNEMENT ANNONCE »

Note de lecture de Henry S'maw Taillefond

Le XXI è siècle se dessine lentement mais sûrement comme le siècle de l’intégration planétaire des phénomènes écologiques et culturels.

A moins d’une crise énergétique majeure, ce siècle confirmera également l’intégration planétaire de l’économie et des capitaux, amorcée dans la deuxième partie du XX è siècle 

Les problématiques liées à la gestion et la préservation de l’environnement d’une part, à la promotion et à la projection des styles de vie en collectivité, d’autre part, s’inscrivent dorénavant pleinement dans le champ politique et circulent plus ou moins librement sur toute la planète. Elles donnent un ton doucement universel aux socialisations politiques dans chaque pays, et jusqu’aux cultures autochtones. C’est que la gestion et la préservation de l’environnement, la promotion et la projection des styles de vie collectivité et peut-être même des styles de vie intime, échappent aux logiques d’actions seulement locales et/ou apolitiques et constituent, par les petits gestes quotidiens de vigilance écologiste et culturelle, une entrée idéale en citoyenneté. 


Chronique d’un empoisonnement annoncé, le livre de Louis Boutrin et Raphaël Confiant, s’inscrit pleinement dans cette vigilance eco-culturelle et citoyenne. S’appuyant sur la méthode d’investigation journalistique, les deux auteurs martiniquais montrent comment, les services déconcentrés d’un Etat « moderne », l’Etat français, ont délibérément appuyé les dérives mercantiles et criminelles de la plantocratie féodale qui sévit en Martinique depuis l’esclavage mercantile américain. 


L’affaire qui intéresse Boutrin et Confiant c’est l’importation et la commercialisation d’un organochloré hautement toxique, le chlordécone, interdit depuis 1972,  presque partout dans le monde, qui fut massivement déversé dans les terres guadeloupéenne et martiniquaise de 1971 à 1993. Après 1993, on peut logiquement soupçonner une importation clandestine dans ces deux pays puisqu’en juin 2003, soit dix ans après la dernière dérogation d’un ministre français de l’agriculture, un stock d’une dizaine de tonnes de chlordécone fut découvert  dans les hangars d’un latifundiste local.

L’importateur et revendeur de cet organochloré dont une nouvelle formulation avait été mise au point dans un laboratoire de Béziers et la synthèse dans des usines du Brésil, a pignon sur rue, les Etablissements Laurent de Laguarigue. Malgré l’interdiction aux USA en 1972, malgré les directives européennes de décembre 1978, malgré un arsenal de rapports défavorables, avant 1981, les ministres français de l’agriculture de l’époque, de la droite libérale à la social-démocratie, signaient des dérogations à volonté, à la demande de l’ethno-classe békée (SICABAM) relayée par le député-banane de service. 
L. Boutrin et R. Confiant dénoncent une catastrophe écologique et sanitaire majeure.


Des cas de cancers de la prostate 5 fois supérieurs à la moyenne caribéenne, environ 250 nouveaux cas par an dans chacun des deux pays, une démultiplication des cas de maladie de Parkinson et d’Alzheimer, la crainte d’une infertilité masculine, des traces d’organochlorés (Chlordécone, Dieldrine, ßHCH et Mirex) dans l’eau, le lait maternel, la viande bovine, ovine, porcine, les ressources halieutiques,  des récifs coralliens pétrifiés, sont, autant de signes patents d’une contamination généralisée et d’une prise en otage de deux peuples de Gwadloup et Martinique par le lobby affairiste de la banane. La carte de l’empoisonnement de la terre en Martinique colore d’un rouge vif toute la région centre et Nord Atlantique du pays. Seules les régions du Nord Caraïbe, du Carbet à Fonlaye, trop faiblement arrosée, du sud sud-ouest, absorbée par l’industrie touristique,  ont échappé aux desseins criminels des voyous plantocrates. Depuis 2003, compte tenu de la relative démocratisation de la communication de masse et malgré la connivence des médias officiels, les conversations martiniquaises sont habitées, hantées par cette inquiétude d’un empoisonnement systématique au Chlordécone.


Cette importation et commercialisation d’un produit totalement interdit n’a, selon Boutrin et Confiant, été possible qu’avec la complicité des services locaux de l’Etat français (préfecture, douanes, chambre d’agriculture, de commerce, etc). Dans l’affaire récente (il y a à peine un an) de Grand Rivière, les services de l’Etat français ont cyniquement illustré cette collusion Etat français/ caste békée qu’une sociologie politique martiniquaise (Guy Cabort-Masson, les puissances d’argent, l’apartheid discret de la France aux Antilles, éditions Voix du peuple, 1982) avait scrupuleusement étudié à la fin des années 70. Dans cette petite ville à l’extrême nord de la Martinique, où il pleut deux à trois fois par jour (wopanndi èk labable), un béké méchamment timbré a tenté, avec l’aval du représentant de l’Etat français,  de détourner 80% de l’eau de la dernière rivière non totalement polluée du Nord Atlantique pour arroser ses 200 hectares de bananes. Quelques petits producteurs locaux hyper aliénés et intéressés aux miettes ont appuyé manu militari cet acte terroriste contre le Pays-Martinique.

Les petits producteurs martiniquais n’ont pas directement accès au marché de la banane, ce sont les békés qui leur entrebâillent les portes du marché et de fait les font avaler tous les trigonocéphales du monde. Ils sont visiblement très fiers de les avaler, faisant vrai ce vieil adage des gens de Martinique, zie betje brile zie nèg, intraduisible bien sûr puisque traduttore, traditore. 


La collusion historique Etat français/caste békée renvoie à la dichotomie opératoire domination interne/domination externe. A certains égards, on serait tenté d’expliquer la collusion Etat français/caste békée par une solidarité phénotypique. Nous n’avons pas trouvé un cas, dans l’histoire coloniale de la Martinique, depuis l’origine, où l’Etat français aurait donné raison à un martiniquais non-béké (à supposer que les békés sont des martiniquais) devant un béké. Il faut rappeler ici qu’en mai 2001, un béké a tué un jeune martiniquais d’une balle tirée à bout portant après l’avoir poursuivi en voiture sur quatre à cinq kilomètres, le dit béké n’a pas fait une minute de garde à vue, et a comparu librement devant le TGI de Basse-terre,  crimen ibi puniendum ubi commissum.


La sociologie politique martiniquaise contemporaine utilise la notion de « caste » pour appréhender ce fait socio-historique d’une minorité d’un petit millier de personnes qui a survécu en tant qu’ethnie et conservé une « pureté » raciale au mitan d’une population 400 fois plus nombreuse et ce en plein XX è siècle de libertinages et de vòlponnri. Il y a quelques mois, un jeune béké éméché tue son cousin lors d’un « tirage » nautique au large du François ; au du procès, le jeune homme sort sans l’ombre d’une condamnation, même pas un sursis, après arrangement familiale ou je ne sais quel droit communautaire ou coutumier qui gangrènerait le modèle légal-rationnel et républicain. C’est qu’une loi secrète d’endogamie régit cette petite minorité de la population martiniquaise.

Yeleley, la population martiniquaise n’est pas le peuple martiniquais, pa di yo di’w. Analysant minutieusement les mœurs matrimoniales békées depuis l’origine, Guy-Cabort-Masson avait montré cette endogamie où la fille épousait sans aucune gêne le neveu de sa mère, le cousin germain dekapistrelait (verbe de la langue de Wanakera, intraduisible bien évidemment) le plus légalement du monde la nièce de son père, etc. Cette endogamie (elle est relative aujourd’hui puisque les bekés vont chercher leurs époux/épouses dans le sud-ouest de la France, leur réserve historique et naturelle, pour éviter la malédiction de la consanguinité)  avait pour but de prévenir l’éparpillement d’un capital amassé et transmis depuis l’esclavage américain.

Dans cette aventure mercantile, où l’Etat français défend bec et ongle ses alliés historiques, « capital financier » et « capital racial » célèbrent de morbides orgies qui détournent toute initiative et liberté politique locales. En décembre 2003, les békés ont acheté des consciences nègres à vil prix faisant basculer la consultation référendaire en faveur d’un statut quo que la question posée, par le président français et son ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, tant dans la forme que dans le fond, était censée verrouillée. « Conformément à l’article 73 de la constitution », ou ja adan, depi swasant lanne, sakre mal mouton. « Conformément à l’article 73 de la constitution », (identité législative, toute loi votée en France est applicable dans l’esprit et la lettre dans les « départements » d’outre mer) le conseil territorial censé sortir de cet aggiornamento administratif aurait fonctionné sur le modèle politique de l’actuel Conseil Général avec un exécutif unique donc sans pouvoir politique pour contrôler, faire contre-pouvoir à, la domination interne.

Nos braves békés ne sont pas des lumières, les lettres békées ne sont qu’écritures…numériques.  Ce pays reste prisonnier des fers de la dépendance et ne laisse prendre aucune accumulation native, même dépendante, l’Etat français pervertissant le jeu des classes sociales par racialisation des rapports sociaux de production et par verrouillage politique et économique de la mobilité sociale. Négriers puis négociants, les békés reçoivent des subventions européennes et entraînent une poignée de nèg-a-blan, dans leurs délires pleurnichards ; ils réinvestissent ces subventions dans le commerce de distribution, prenant soin de contourner les lois anti-trust de la République française, ils redistribuent quelques miettes aux nègres (la révolution haïtienne de J.J. Dessalines a « déracialisé » le mot et la négritude césairienne l’a « re-racialisé » et « positivé ») pòyòphiles, importent tous les produits alimentaires et manufacturés du monde et tuent dans l’oeuf, toutes velléités de développement d’un marché local, même dans le cadre d’un développement capitaliste dépendant. La production locale reste hors de prix.

Dans les supermarchés des békés, un litre d’eau minérale made in Gwadloup or Martinique coûte deux fois plus cher qu’un litre d’eau importée d’en tjou-man-deviran. Un litre de lait ou un yaourt, se mete lanmen nan tèt, lajan fè letè.  Cette mainmise sur le pays-Martinique peut sembler magique, au sens d’un « pwen » ou d’un « senp », d’un « dawa », d’un « pon » puisqu’aucune contestation politique sérieuse (avec des relais caribéens), aucun soutien durable à l’économie traditionnelle ou au secteur « informel » n’a été projeté par l’élite politique locale. Seuls de nouveaux commerçants, chinois en particulier, inaugurent une concurrence paresseuse et toute déterminée.

L’histoire de la Martinique montre bien une dynamique de concentration/déconcentration/re-concentration des activités productives et du patrimoine foncier entre les mains des békés. C’est l’Etat français, pa te janmen ni « djòknès politik atè Wanakera », qui commande ce processus qui maintient la caste dans sa position de domination économique et politique. Les classes intermédiaires, mulâtres d’hier et classes moyennes d’aujourd’hui jubilent à la distribution des miettes et n’arrivent pas à envisager une Martinique qui tourne la page békée, la page trop lourde de la plantation dépendante. Quand les auteurs de ce très bon livre d’investigation, L. Boutrin et R. Confiant proposent comme solution à la contamination de la terre martiniquaise et à l’échec de agriculture spéculative de la banane, une replantation des terres contaminées en canne à sucre dans la perspective d’une filière bio-énergétique, d’une production d’éthanol, au-delà des atouts économiques et écologiques incontestables de cette très bonne et belle idée, ce serait là une belle opportunité de rebondissement pour la caste, un moyen neuf  pour engranger de nouvelles subventions européennes.
Le coût des programmes de décontamination de la terre, décuplera irréversiblement les prix des produits de l’agriculture  vivrière, renforçant ainsi le pouvoir économique et politique des commandeurs (en tant qu’ils sont un relais de l’Etat français) de l’import/export qui est à la fois le centre nerveux de la domination interne et la clef de la domination externe.

La solution politique pour la Martinique passe irréversiblement par la fin de la domination interne, donc par une expropriation de la caste, la mise sous contrôle martiniquais de toutes les terres du pays et une réorientation martiniquaise du secteur de l’import/export qui doit fonctionner comme un filtre. Seul un Etat martiniquais peut réaliser un tel programme et précipiter la fin de la domination externe, pour koke tou doubout, euh croquer dans l’ouvert du monde, et ouvrir définitivement un destin caribéen, américain dans ce peuple. Il faudra aller chercher l’igname-bokodji, la dayin kankloum, les patat-jòn-ze à Ayiti Boyo Kiskeya, Waytoukoubouli, Yowanalao, Youyoumèn, peut-être même Kamawonn ou se convertir à la pizza pour cochon, en bord de route qui hypertrophie les problèmes d’obésité dans la jeunesse et perturbe durablement la culture martiniquaise.
Ce livre qui interroge les responsabilités, souligne une double insuffisance politique. La première tient de la pauvreté du débat politique en Gwadloup, Gwiyann, Matnik ; rien en dehors des sempiternelles visites de sous ministres et politiciens français en campagne à un nèg-fondalnatal qui pleure comme un ours qui danse, sur une identité martiniquaise qu’il a lui-même contribué à hypothéquer, fossiliser quand il n’a cessé d’occuper nonchalamment les devants d’une scène politique trop étroite pour porter un, deux, trois projets telgariens.
Aucun politicien français, de la droite liberticide à l’extrême gauche ultra libertaire, n’a reconnu, serait-ce que symboliquement, un peuple martiniquais ou guadeloupéen voire guyanais. Ici et là-bas, une notion de peuple corse, basque ou je ne sais quelle religion qui fait terriblement peuple, a circulé, sans retenue, dans l’expression politique française. Côté peuple de Gwadloup ou Martinique, rien ne circule, ayen toubannman, pa menm an kaka djimbi-touloulou.

Nous autres guadeloupéens ou martiniquais sommes dilués dans un galimatias  où le qualificatif réducteur et pathétique de  « noir » c’est-à-dire non totalement humain, en tout cas non politique et même non culturel, incapable de se projeter, déborde de sous-entendus racistes ; où le pathétique qualificatif de "domien" ou "ultramarin", nou ja desann anba dlo, renvoie systématiquement l'identité d'être humain non plus à une langue ou un espace géopolitique mais à une catégorie juridique. Les catégories juridiques, DOM, TOM, POM, RUP, passent, les hommes tou, la terre demeure, toujours.
La deuxième insuffisance soulignerait cette incapacité de l’élite politique, engluée dans l’idéologie gestionnaire, à sortir la tête dans le guidon et entreprendre un devenir guadeloupéen, guyanais ou martiniquais ou plus intelligemment, caribéen/américain qui repositionne ces peuples dans un faire-l’histoire qui languit. En montrant la collusion Etat français/caste békée, les auteurs abordent une des problématiques caribéennes les plus riches et sans doute les plus complexes, la dichotomie domination interne/domination externe.

La domination interne est d’autant plus forte, notamment lors des phases de re-concentration foncière et/ou financière, qu’une gouvernance politique martiniquaise reste dépendante du pouvoir politique français. Les agents de la socialisation politique, essentiellement les associations martiniquaises ici (partis politiques patriotiques, souverainistes ou même autonomistes, syndicats non-alimentaires, associations de promotion et de sauvegarde du patrimoine, associations pour l'épanouissement culturel), déclassent leurs références politiques et culturelles caribéennes et mettent en avant le niveau d’instruction (l’école française) dans les actes quotidiens de compréhension du monde. Un des caractères sui generis des dominations françaises c’est qu’elles s’articulent sur une problématique raciale. Elles se renforcent donc quand la domination interne (domination du béké ou du néo-colon sur le caribéen) devient plus dense ou parfois même quand elle s’étiole. La contestation du dominé s’inscrit pleinement dans la culture française du conflit social ou se pare de principes humanistes véhiculés par l’école française.  
Dans toute l’Amérique des plantations, à certains moments de l’histoire, la domination interne a été en décalage avec la domination externe, changeant les latifundistes et grands négociants en bourgeoisies compradores, en bourgeoisies portuaires puis en bourgeoisies industrielles et nationales lors des politiques de substitution aux importations. En Martinique, rien, se tjè mouton. Jusqu’en 1974, année de la grande grève de janvier-février où les gendarmes ont assassiné deux ouvriers agricoles et blessés une dizaine d’autres, l’Etat français fournissait le « bouclier militaire ».

Depuis, c’est un dispositif juridico-financier qui encadre complaisamment la culture mercantile des békés. Quand les candidats à l’élection présidentielle française 2007, ceux de la droite ultra-libérale et de la droite sociale libérale ou droite de la social-économie ne trouvent rien d’autre à sortir de leur cynique culture économique et politique qu’un projet de « zone franche globale » on peut y lire clairement les desseins mercantiles et le manque historique de sociabilité des békés. Quant aux kòkòdò départementalistes et autonomistes en moratoire qui acquiescent, je ne sais quelles vapeurs de vinaigre, de rhum camphré, quel jus de feuilles de corossol, annona muricata,  peuvent guérir une telle perte de connaissance, une telle inconscience et inconséquence politiques.

L’affaire du chlordécone montre malheureusement, au-delà de la collusion historique, Etat français/plantocratie féodale, qu’une incompétence doublée d’une corruptibilité affligeante et d’une insignifiance pathétique de l’élite politique (politicienne) martiniquaise permettent la durabilité de la domination interne ou tout au moins l’accompagnent, ababa djòl koule et renforce bondamantalman la domination externe..                   
Ce livre s’inscrit pleinement dans le champ politique même si les auteurs qui, à mon sens, collent trop au journalisme d’investigation n’arrivent pas à envisager une mobilisation qui permettrait l’érection d’un véritable pouvoir politique martiniquais dont le calendrier inscrirait au rang des priorités, l’expropriation de la plantocratie féodale (les békés n’ont aucun titre de propriété sauf falsification ou prescription acquisitive ou usucapion), la remise de la terre à la gestion d’une communauté politique martiniquaise, la fin à l’agriculture productiviste extravertie et la spéculation banane (la monoculture de la banane ne sert qu’à happer des subventions européennes pour les réinvestir dans des activités mercantiles, ces supermarchés qui écrasent l’artisanat et le petit commerce légale, tisseur d’un lien social, passeur de sens et sociabilité), le développement d’un marché martiniquais et caribéen,  la diversification de l’agriculture. On sait que l’agriculture spéculative et extravertie n’a jamais développé un pays sur cette planète mais, au contraire, a réussi à pérenniser un incommensurable appauvrissement  économique mais aussi écologique, culturel, politique et social… des pays hôtes.

L’appauvrissement économique est matérialisé par le recul quotidien de l’agriculture vivrière diversifiée devant la  monoculture (canne à sucre, banane, soja, maïs, thé, kawa) et l’augmentation vertigineuse des volumes d’importation de produits d’alimentaires, de machines-outils de l’agri-business, etc. Cette monoculture épuise, très vite  les terres et pour tenir les seuils de rentabilité, les latifundistes importent massivement des fongicides et pesticides qui polluent l’eau, les terres et compromettent parfois l’état sanitaire des populations, endettent les agriculteurs qui ont abandonné le secteur traditionnel pour le secteur capitaliste dépendant. Les recettes de l’agriculture extravertie sont affectées en règle générale au développement d’infrastructures dont le rôle est de faciliter la circulation de marchandises d’importation. Cette catastrophe économique et écologique, rétrécit considérablement l’espace social et jettent des milliers d’agriculteurs appauvris et de chômeurs sur les kanntè, balseros ou gaal/lotjo de l’émigration. C’est que, outre une activité économique qui se pose en de simples termes d’import/export et qui vide démesurément le champ politique de toute substance autochtone, la socialisation politique s’effaçant devant une idéologie gestionnaire et une sub-culture de représentation, c’est la dégradation des termes de socialisation politique et des lieux d’apprentissage politiques (de socialisation et d’apprentissage, tout court) qui frappe ici.  
Les auteurs de Chronique d’un empoisonnement annoncé n’envisagent pas le crime contre la culture martiniquaise. Un tel crime contre le pays-Martinique (Wanakera) casse toute dynamique de construction politique, spolie la terre, sape les éléments qui permettent l’émergence d’un marché local, (diversité de produits agricoles, de produits agro-alimentaires, de produits artisanaux, de produits culturels, etc) et appauvrit en définitive la culture martiniquaise.

Quand la culture s’appauvrit, quand la socialisation politique s’effondre, l’errance (yo foute yo nan driv), l’évasion (drogue et standardisation) la culture du revival, nous fils de nos ancêtres, déterritorialisent le pays et décuplent la criminalité et la violence intime (violence conjugale, violence intra-communautaire) quotidienne.  
    De nos jours, les problèmes liés à la gestion et la sauvegarde de l’environnement mobilisent des acteurs sociaux autour de plateformes qui dépassent la seule compétence d’associations écologistes locales et même le pouvoir politique d’un état. Au même titre que la culture, l’environnement devient une valeur forte qui appelle une vision politique régionale ou continentale. Il faut donc un Etat martiniquais, un Etat gwadloupéen pour tracer avec les états caribéens les grandes et fines lignes d’une politique de l’environnement strictement hiérarchisée, avec un ordre de priorité et un calendrier politique sans cesse revisité, afiné.

Quand je dis hiérarchisation, j’entends une culture politique caribéenne qui maîtrise l’espace-temps caribéen et qui peut donc établir durablement un ordre des priorités sans désaccords majeurs entre les contractants. 
C’est que la gestion des ressources naturelles renouvelables (an pie pwa-dou, an lasous anba bwa, an pie kayimit) ne pose problème qu’en terme de flux et de qualité et ce à l’échelle d’une vie humaine et est de la compétence d’un Etat ou même de collectifs écologistes qui seraient dépositaires d’une culture politique qui intègre ces ressources naturelles renouvelables.

La gestion des ressources naturelles non-renouvelables (Gorges de la falaise, Chutes du Carbet, sols, cascades des écrevisses, sables, tout-venant du tombeau des caraïbes, lawviè, Savane des pétrifications, la mer des caraïbes) qui sont des stocks posent les problèmes en termes de quantité et d’équilibre régional. La gestion de ces stocks dépasse les collectifs écologistes locaux et le pouvoir d’une autorité politique locale. Il faut donc un Etat guadeloupéen, un Etat martiniquais pour « accompagner » le premier volet de cette gestion et entreprendre avec les Etats caribéens la permanence des problèmes liés à l’environnement et à la culture.

Henri S’maw Taillefond