A QUOI SERT UN(E) MINISTRE DES SPORTS ?

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Le sport a besoin d'hommes et de femmes compétent(e)s


 
Le poste de ministre des Sports n'a que trop rarement été occupé par des hommes et des femmes politiques d'envergure
 



A quoi sert un(e) ministre des sports? Aujourd’hui, à pas grand-chose. Depuis qu’en novembre, elle a succédé à Rama Yade, médiocre à ce poste, qui elle-même avait pris la suite de Bernard Laporte, guère plus brillant, Chantal Jouanno fait des ronds dans l’eau, mais bénéficie encore de la bienveillance de medias sous le charme de ses titres de championne de France de kata, une discipline qui se juge sur des enchaînements de gestes techniques, rapides et synchronisés.

Dans un ministère où elle a au moins la chance d’avoir, en apparence, les coudées franches -ce n’était pas le cas de Rama Yade et Bernard Laporte surveillés comme le lait sur le feu par Roselyne Bachelot, ministre de tutelle également peu inspirée lorsqu’elle s’approchait des terrains de sports, Chantal Jouanno constate, en fait, son impuissance qu’elle comble par des discours lénifiants dans lesquels se mêlent vœux pieux, idées creuses, clichés éculés et parfois grosses bêtises.

Le 29 mars, lors de l’installation de l’Assemblée du sport, nouvelle agora de discussion sur l’avenir du sport en France, nous avons eu droit à :

«Le sport est un enjeu de société du XXIe siè­cle. (…) Nous savons, car nous l’avons vécu, que le sport reste l’un des der­niers espa­ces répu­bli­cains, un espace d’émancipation, d’appren­tis­sage de la règle, de pro­gres­sion par l’effort, un espace de cohé­sion et de par­tage au-delà des cli­va­ges. Nous savons que le sport ras­sem­ble les peu­ples à tra­vers le monde. (…) C’est par l’école et le sport que nous pou­vons apai­ser notre société, lui appren­dre la tolé­rance et le res­pect. Mais pour ce faire, nous devons fixer des prio­ri­tés et défen­dre plus clairement des principes.»

Le 28 mars, à Sport et Citoyenneté, nous sommes carrément montés dans les nuages :

«Aujourd'hui, je suis convaincue que la vocation première du sport est de transmettre ces valeurs. C'est pour cette raison que j'ai décidé dès cette année de conditionner les aides apportées par l'Etat aux clubs à l'adoption d'un projet éducatif fondé sur une éthique et des valeurs. C'est un principe de civi-conditionnalité. En contrepartie, je souhaiterais que cet engagement des clubs soit valorisé par exemple via l'instauration d'un label "Sport éthique et citoyen" ou par une reconnaissance d'utilité civique.»

Evra et Ribéry

Le 29 janvier, la Ministre était très énervée dans L’Equipe au sujet de l’Equipe de France:

«Je ne comprends pas qu’on laisse entendre que les meneurs de la fronde en Afrique du Sud puissent être réintégrés. Indépendamment de leurs qualités, qu’ils reviennent serait inadmissible. On ne peut pas faire honte à la France et prétendre ensuite rejouer en équipe de France. (…) À part dénoncer, je ne peux rien faire. Je n’ai rien contre Évra, mais en tant que joueur de l’équipe de France et surtout capitaine, il n’a pas défendu les valeurs du sport qui sont aussi celles de la République. Ce serait une énorme erreur d’oublier ce qui s’est passé. (…) Il faut être inflexible sur ce sujet.»

On connaît la suite et on peut imaginer que si la France venait à gagner, par miracle, l’Euro 2012 avec Evra et Ribéry, les deux coupables désignés à la vindicte populaire (pourquoi eux d’ailleurs plutôt que tous les insurgés du bus?) ne resteraient pas à la porte de l’Elysée au moment de la photo-souvenir.

Le 28 mars, dans Le Figaro, Chantal Jouanno voyait la vie en bleu:

«Le sport français se porte extrêmement bien. Il est reconnu et apprécié au niveau international. Jacques Rogge (le président du CIO) me l'a d'ailleurs récemment rappelé.»

Rendez-vous le 6 juillet, à Durban, six ans jour pour jour après la débâcle de Singapour et de Paris 2012, quand Jacques Rogge nous renverra une nouvelle fois à nos chères études en proclamant le nom de la ville hôte des Jeux d’hiver de 2018 qui ne sera pas Annecy, puisque nous le savons tous, la ministre la première, Annecy n’a strictement aucune chance d’être la ville élue. Dossier mal ficelé et qui n’aurait surtout jamais dû voir le jour dans la mesure où la France a organisé les Jeux d’hiver il y a moins de 20 ans, à Albertville.

Le 29 mars, enfin, dans France-Football, elle intervenait dans le cadre du débat sur les droits de retransmission du foot:

«Si Canal Plus, et plus largement ceux qui vont répondre à l’appel d’offre, font baisser les droits, ça veut dire deux choses. Un, c’est la loi du marché, et deux, il faut être conscient que l’on a vécu sur un niveau de financement particulièrement déraisonnable. Si les clubs s’en étaient servis pour acquérir des stades ou d’autres actifs, on aurait dit «formidable». Mais l’argent est allé dans des transferts et des salaires exorbitants. (…) Qu’est-ce que les clubs ont donné en retour?  Un spectacle lamentable lors de la Coupe du monde, aucun investissement dans les stades, c’est trop facile comme situation!»

Déraisonnable? A l’évidence, Chantal Jouanno ne s’intéresse pas aux championnats anglais ou espagnol. Quant aux clubs, ils n’ont pas grand-chose à voir dans le fiasco moral des Bleus ou alors il faut aller se plaindre du côté de Manchester United (Evra) et du Bayern de Munich (Ribéry).

Le sport a changé

Issue d’une discipline très amateur, Chantal Jouanno est au diapason dans ses nouvelles attributions de ministre. Elle débarque dans ce monde du sport devenu si professionnel où l’argent est partout le nerf de la guerre (on peut le regretter à longueur de discours, mais c’est ainsi) et où la France, malgré les promesses et les incantations de Nicolas Sarkozy, est à la peine.

En fait, Chantal Jouanno symbolise la désinvolture avec laquelle est traitée la question du sport en France. Dans notre pays, il est possible de s’entendre expliquer pendant des mois que santé et sport doivent impérativement cohabiter ensemble dans un même ministère quand au troisième remaniement venu, santé et sport ne font soudain plus bon ménage pour des raisons que nous ignorons encore. Aujourd’hui, au fond, quelle est encore l’utilité d’un ministère des Sports sauf à employer ce mot «valeurs» comme à plus soif et de manière si caricaturale?

Depuis le début de la Ve république, 13 hommes et six femmes ont été en charge des sports, de l’alpiniste Maurice Herzog, resté plus de sept ans à son poste, à l’actuelle dépositaire du poste. La charge, qu’elle soit incarnée par un ministère ou un secrétariat d’Etat, est toujours restée subalterne et a été seulement remplie par des seconds couteaux de la politique qui n’ont pas fait ensuite une grande carrière ministérielle. La seule qui a su s’élever dans l’ordre protocolaire a été Michèle Alliot-Marie, ministre de la Jeunesse et des Sports entre 1993 et 1995, qui n’en est pas restée là. Marie-George Buffet, ministre de 1997 à 2002, a été sinon candidate à l’élection présidentielle. Mais beaucoup, autrement, ont été oubliés ou sont retournés dans une forme d’anonymat politique comme les anciens sportifs recrutés pour l’occasion comme Alain Calmat, Guy Drut, Roger Bambuck ou Jean-François Lamour. Souvenons-nous également de Christian Bergelin, de Frédérique Bredin ou de Paul Dijoud.

C’est en réalité cela le petit drame du sport en France au-delà des promesses inconsidérées de campagne. On ne met ni les moyens ni les hommes ou les femmes d’envergure pour le défendre ou le développer.

Modèle centralisé

Etonnamment, en 2011, nous vivons toujours sous les effets de la loi du 20 décembre 1940 promulguée par le Maréchal Pétain qui avait décrété que plus aucune association sportive ne pouvait être reconnue sans être adoubée par l’Etat. Ce modèle très centralisé, assez unique en Europe, a perduré jusqu’à aujourd’hui, le Général de Gaulle l’amplifiant en 1960 après le fiasco des Jeux de Rome où la France n’avait décroché que cinq médailles, toutes en argent et en bronze. Le gouvernement de l’époque avait alors constitué un corps de cadres techniques mis à disposition auprès des fédérations (les Directeurs Technique Nationaux que nous connaissons encore). Ce système fonctionne toujours avec un certain succès, mais tend à ralentir faute d’argent et d’idées nouvelles (la France a été 10e au classement des médailles à Pékin alors qu’elle était 7e à Athènes) et semble surtout complètement pris de vitesse par les nouvelles mœurs de l’organisation du sport professionnel.

L’échec cuisant de Paris 2012 a symbolisé cette prise de conscience et ce décalage du sport français et de la manière dont il est administré. Six ans se sont écoulés et rien de concret n’a été fait pour relancer une candidature de Jeux d’été, seule manière de rebâtir le modèle du sport français en offrant des perspectives très ambitieuses. En 2011, Chantal Jouanno a donc décidé de créer cette Assemblée du sport qui doit rendre ses premières conclusions en juin en parlant «de la pratique sportive pour tous, du sport sain et éthique, du sport de haut niveau, de l'emploi et de la formation, de l'économie du sport et de la gouvernance du sport». Puis viendra l’automne avec le début de la campagne électorale qui balayera ce travail aussi vain qu’inutile puisque chaque candidat à la présidentielle aura alors ses propres idées pour le sport en France. Tant qu’il se contentera de mettre à sa tête des bleus en politique, le sport français fera du surplace.

Pour conclure et être constructif, osons glisser une idée: pourquoi ne pas associer un ministre des ports et un haut-commissaire en charge du haut niveau sur le modèle du tandem incarné par Michel Barnier et Jean-Claude Killy qui avaient mené à bien la candidature et l’organisation des Jeux d’Albertville? Un grand élu local tourné vers l’international marchant la main dans la main avec un sportif ayant ses entrées partout et connaissant le milieu sportif comme sa poche. Serait-ce si dur à trouver ?

 Yannick Cochennec IN Slate.fr