SCIENCE ET SPORT : POURQUOI LES ATHLETES NOIRS DOMINENT-ILS LE SPRINT MONDIAL ?

 Athlétisme : les records ont-ils une couleur ?

lemaitre.100m.jpg Christophe Lemaitre a établi vendredi 9 juillet un nouveau record de France du 100 mètres en couvrant la distance en 9 sec. 98 

Christophe Lemaitre est devenu vendredi 9 juin le premier sprinteur blanc à descendre en dessous de la barre des 10 secondes sur 100 mètres (9 sec. 98). Aussitôt énoncée, cette information relance un débat ancien et polémique, que l'on peut résumer à la question : les Noirs courent-ils plus vite que les Blancs et pourquoi ? A Valence, où est organisé le championnat de France, théâtre de la performance de Lemaitre, la question a rapidement été écartée. Lemaitre lui-même : "Parler de sprinteur blanc, je trouve ça aberrant. Cette histoire c'est lourd, je n'aime pas du tout ça".

"C'est un faux débat. Si un jour les Chinois décident de fabriquer un mec qui court en moins de dix, ils le feront ", assure l'entraîneur de Térésa Nzola, Zoran Denoix, cité par Le Progrès. "Il est évident qu'il n'y a aucune raison génétique ou quoi que ce soit du genre (...) C'est juste du travail ", tranche aussi Jeremy Wariner, qui a longtemps dominé le 400 m.

Pourtant, sur les 71 athlètes qui ont réussi à descendre sous les 10 secondes sur 100 mètres avant Christophe Lemaitre, tous étaient des athlètes africains ou descendants de ce continent, à l'exception de l'Australien Patrick Johnson, athlète métis aborigène par sa mère.

Le rôle de l'ACTN3

Débattue depuis longtemps, la question fait l'objet de publications depuis plusieurs années. En 1989, le journaliste américain John Entine avait publié un ouvrage remarqué intitulé "Tabou : pourquoi les athlètes noirs dominent les sports et pourquoi nous avons peur d'en parler". Il y évoquait notamment certaines caractéristiques physiologiques propres à certaines populations issues du continent africain : "Les Noirs originaires d'Afrique de l'Ouest – dont la plupart des Noirs nord-américains se considèrent les descendants – se caractérisent généralement par une quantité plus faible de graisses sous-cutanées au niveau des bras et des jambes, une masse musculaire proportionnellement plus élevée, des épaules plus larges, des quadriceps plus volumineux et une musculature générale plus développée ; une cage thoracique plus petite ; un centre de gravité plus haut ; un réflexe rotulien plus rapide ; une densité corporelle plus élevée ; un taux de testostérone plasmatique légèrement plus élevé, qui a un effet anabolisant, c'est-à-dire qu'il contribue théoriquement à accroître la masse musculaire, à faire baisser la quantité de graisse et à permettre des efforts plus intenses avec un temps de récupération plus court ; enfin, un pourcentage plus élevé de fibres musculaires à contraction rapide et d'enzymes anaérobies, qui peuvent se traduire par un surcroît d'énergie explosive" (voir l'article dans Le Courrier international). Mais Entine insistait également sur le fait que "ces avantages restent insignifiants s’ils ne sont pas pleinement développés par un entraînement intensif et par une insertion dans un environnement porteur et compétitif qui ouvre la voie du succès sportif".

Plus récemment, des recherches ont mis en lumière le rôle de l'ACTN3, un gène qui enclenche la production d'une protéine dopant les fibres musculaires et favorisant les performances de haut niveau des sprinteurs. Ce gène peut être actif (RR ou RX) ou silencieux (XX), ce qui n'a guère d'impact sur les performances des athlètes de niveau moyen. Mais pour ceux de très haut niveau, un gène actif peut faire la différence. "Seulement un petit nombre des dizaines de sprinteurs de niveau olympique étudiés à ce jour disposaient de la version non-compétitive du gène", selon Daniel MacArthur de l'Institut de recherche neuromusculaire de Sydney. Rachel Irving, chercheur à l'Université des West Indies abonde en ce sens : "Une analyse de l'ADN de 200 Jamaïquains de niveau olympique montre que 80 % disposent du variant RR". Les études prouvent en outre que seulement 1 à 2 % des Africains de l'Ouest disposent du variant XX, le variant faible, contre 18 % des Américains, 20 % des Européens et 25 % des Asiatiques.

L'absence de modèles

Mais ces éléments ne sont évidemment pas suffisants pour expliquer les performances des meilleurs sprinteurs mondiaux, qui sont avant tout le fruit d'un travail de tous les jours. A regarder de plus près la répartition des athlètes qui ont couru le 100 mètres en moins de 10 secondes, on ne peut qu'être frappé par la surreprésentation des Nord-américains qui représentent à eux-seuls la moitié du contingent. Preuve, sans aucun doute, de la supériorité du modèle de formation (entraînement, équipements) adopté dans cette partie du monde.

Le facteur social non plus ne peut-être écarté, et le rôle moteur d'un Usain Bolt en Jamaïque est indéniable. Un récent reportage publié dans Le Monde en atteste : interrogé, un jeune coureur de 100 mètres témoignait : "Usain Bolt ou Asafa Powell sont des exemples pour nous. Ils nous inspirent." "Bob et Usain, c'est pareil, expliquait Rita Marley, la veuve du célèbre artiste. Si eux ont pu faire de grandes choses, alors d'autres Jamaïquains peuvent le faire". Et "le faire", pour cette jeunesse, c'est avant tout sortir de la pauvreté .

C'est aussi cette absence de modèle que vient battre en brèche le record de Lemaitre. "Si j'étais un Blanc de 16 ans, je ne rêverais pas d'athlétisme ; je me dirais : je n'ai aucune chance. (...) Il faut avoir en tête une image de succès", déclarait ainsi le sprinteur britannique Julian Golding.


Cité par Le Progrès, Zoran Denoix se range complètement derrière cet argument : "Pour moi, c'est socio-culturel. Dites-moi simplement pourquoi un jeune blanc irait s'embêter à s'entraîner dur… Nous sommes égaux devant la performance. C'est la société qui est construite de telle sorte que les noirs courent le 100 m… Ensuite, cela s'auto-entretient : les blancs se disent que ce n'est pas possible. La chance de Lemaitre, c'est qu'il est dans sa bulle et qu'il ne porte aucune attention à tout cela".


Vincent Fagot (avec AFP)