SE GOINFRER POUR ÊTRE SEXY...

Transgression à la mode aux USA

obosite.usa.jpg

Vous déploriez que la maigreur extrême soit l’idéal des jeunes filles d’aujourd’hui ? Attendez de découvrir cette sous-culture américaine en plein essor : les « stuffers » s’empiffrent pour être gros et sexy. Il paraît que ce n’est pas un désordre alimentaire.
PHOTO : Chrystal, une jeune américaine détaillant son évolution en tant que « stuffer » via son blog 

 

Rien à voir avec le mouvement des Big Beautiful Women (les BBW), ces femmes qui affichent fièrement leurs courbes généreuses. Celles-ci revendiquent une mode adaptée à leur morphologie, ou un genre de pornographie spécifique, ou simplement de n’être pas considérées comme des monstres. Ces femmes-là – et des hommes aussi – sont gros et font avec, voilà tout.

Les « stuffers » (ceux qui se bourrent de nourriture), ou « gainers » (ceux qui prennent du poids exprès), sont d’une autre espèce. Le site Styleite les décrit ainsi :

« Les stuffers ressentent une émotion sexuelle en comblant leur thigh gap [l’écart visible entre les cuisses, ndlr] au profit de rondeurs, bourrelets et gros bidon. »

Le gros bide est un objectif à atteindre

Le site Vocativ, qui a réalisé l’enquête la plus complète (photos spectaculaires à l’appui) sur ce qu’il qualifie de « contre-culture bourgeonnante », explique que, pour les stuffers, l’obésité et les gros bides sont des buts à atteindre et à glorifier. Il décortique notamment le blog de Chrystal, une jeune fille qui raconte en détail comment elle a atteint son objectif :

« Petite, je voulais déjà être grosse. Je n’ai pas eu plus tôt l’occasion de me lancer. Et puis je m’y suis enfin mise. Et maintenant me voilà. »

On voit alors des photos de Chrystal avant (jolie fille en robe lamée, genre sexy pulpeux maîtrisé) et après (en bikini rouge, avec un triple menton et un ventre de femme enceinte de triplés). Elle semble tellement fière !

Elle mesure 1,62 m. Quand elle s’est lancée, elle pesait 72 kilos – pas archi mince, mais dans la norme. Un an plus tard, elle avait atteint 124 kilos en mangeant tout ce qu’elle était capable d’ingurgiter, complétant son régime avec des pots de crème, des milk shakes, et une douzaine de donuts à la fois pour faire glisser l’ensemble.

« A côté de mon lit, je garde en permanence des trucs non périssables pour manger quand je me réveille la nuit. Et je bois tout le temps des litres et des litres de crème liquide. Heureusement pour moi, je suis capable de supporter ce régime. »

Attention, photos et films nauséeux

Elle veut sans doute dire qu’elle ne se sent pas malade, ni nauséeuse.

Chrystal n’est pas un cas isolé. Elle a des milliers de copains et copines qui communiquent et échangent leurs expériences sur des forums, blogs, photos et vidéos, s’encourageant et s’admirant virtuellement. En voici quelques uns. Attention, au bout d’un moment, on peut avoir envie de vomir !

- Le forum Stuffer31, qui annonce fièrement « 454 modèles, 1 182 996 photos, 38 400 vidéos ».

- Le forum Fantasy Feeder, « la communauté qui valorise les gros ».

- Deux chaines de vidéos dédiées sur Youtube : Ms Stuff « n Puff, et Weight Gain Collection.

- Deux Tumblrs, l’un consacré aux hommes : Gut Growers, l’autre aux femmes : Tasty Female Bellies.

Je n’ai pas le courage de décrire ces contenus en détail, voyez vous-même. C’est au moins aussi pénible que de consulter les blogs pro-ana (prônant l’anorexie). La grande différence, c’est que les stuffers ont l’air très heureux de vivre.

Processus d’engraissement aphrodisiaque

Certains stuffers se satisfont de leur poids lorsque celui-ci a atteint un certain niveau, que leur apparence leur convient. D’autres, ceux qui préfèrent se définir comme gainers, privilégient le processus, l’action de gagner du poids. La transformation due à l’engraissement est leur aphrodisiaque.

“ J’ai d’abord gagné sur mon ventre. Et pendant que chaque partie de mon corps devient plus grosse et plus molle, mon ventre, mes seins et mon visage sont les super stars de ma prise de poids. ”

Pareil comportement pourrait s’apparenter à la phagomanie (la boulimie, le désir compulsif de manger). Mais Vocativ a interrogé un psychologue spécialiste des troubles alimentaires, qui pense que le phénomène va bien au delà :

“ En 26 années de pratique, je n’ai jamais vu ça. La graisse en surplus peut servir à adoucir des émotions que vous préférez ne pas ressentir, mais je n’ai jamais rencontré une personne qui prenne sciemment du poids en attribuant un sens positif à son comportement. ”

“On connait les risques, on n’est pas idiots”

L’obésité, véritable fléau médical et financier aux Etats-Unis, n’est certainement pas un état valorisé par la société. Dès lors, comment expliquer le phénomène ? Les stuffers expliquent qu’ils veulent se sentir plus attirants sexuellement, qu’ils se sentent mieux dans un corps gras et mou.

Ecoutons Jenny, une étudiante de 20 ans, s’exprimer sur le forum Reddit. Elle a pris vaguement conscience de son désir d’être grosse en atteignant la puberté, et elle insiste sur le fait que sa décision de devenir stuffer a été prise ensuite en toute conscience :

“ Nous savons que nous mettons notre santé en danger, nous ne sommes pas idiots. Les gainers comme moi voient leur docteur, comme tout le monde.

Pour ma part, je prends du poids, non pas en ingurgitant des gâteaux industriels, mais en mangeant des grosses portions de la même nourriture que tout le monde mange. Nous avons l’envie sexuelle d’être gros, mais nous avons aussi le bon sens d’écouter notre médecin. ”

Un fétichisme comme un autre

Ah bon ? Quel médecin oserait cautionner pareil régime ? Jenny poursuit :

“ Les gens contemplent notre fétichisme et pensent que nous sommes dingues, ou que nous détruisons exprès notre santé. Ils ont complètement tord. Nous ne sommes pas moins sensés que n’importe quel adepte d’autres fétichismes. ”

A ce niveau de raisonnement, j’arrête de me poser des questions intelligentes. Mais, comme le phénomène des stuffers intéresse pas mal de monde en ce moment, on voit que certains n’ont pas abandonné l’espoir de comprendre.

Ainsi, sur HelloGiggles, un des sites “ twee ” dont je parlais dans un post précédent, une journaliste se prend la tête, à la manière parfois horripilante des twees qui cherchent toujours à rester sympas et compréhensifs :

“ Je suis pour célébrer les corps dans toute leurs diversités. Je trouve formidable que les gainers élargissent la définition conventionnelle de la beauté à eux mêmes et à ceux qui les entourent. Ils ont besoin de ça pour se sentir bien dans leur peau, et bien sûr, je respecte complètement cette démarche. Mais à partir de quand le stuffing devient-il du gavage ?”

Police alimentaire et police du poids

“Je déteste l’idée de faire la police alimentaire (et encore plus la police du poids). Mais personnellement, de même que je m’inquiéterais beaucoup si une de mes copines pesant 72 kilos PERDAIT d’un coup 25 kilos, je trouve que GAGNER 52 kilos n’est pas normal. Ce n’est pas le genre de truc qu’un docteur en qui j’ai confiance devrait cautionner.

Ce mouvement a sans doute des significations et implications différentes selon les gens. Si certaines personnes sont plus heureuses et se trouvent plus sexy quand elles sont plus grosses, je leur souhaite tout le bonheur du monde.

Mais si c’est un désordre alimentaire déguisé en acquisition de confiance en soi (quand on parle de désordre alimentaire, on focalise généralement sur la perte de poids extrême, mais le gain extrême pose aussi problème), alors je ne me sens pas à l’aise pour soutenir un mouvement dont je ne suis pas sûre, au fond, qu’il soit bon pour la santé. ”

Des gens fragiles qui se cherchent un but

Pourquoi dire les choses simplement quand on peut faire compliqué ? Cette éditorialiste ne veut pas être accusée d’ostracisme envers les stuffers, ce qui ne serait pas politiquement correct, ou alors juste pas gentil. Alors elle tourne autour du pot pour dire qu’elle n’est pas convaincue par l’argumentaire des stuffers.

Espérons que d’autres jeunes gens fragiles psychologiquement, mal dans leur peau pour des raisons corporelles, ne vont pas se sentir encouragés par tout ce battage sur la nouvelle transgression à la mode : le combat extrême contre la norme de la maigreur.

Car s’il y a bien une chose dont le système de santé américain n’a pas besoin, c’est de davantage d’obèses susceptibles d’aggraver encore la prise en charge sociale des maladies liées au surpoids.

SOURCE : Rue89