J.O. Pékin

 

Usain BOLT    phénoménal !

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Celui qui est peut-être le plus grand athlète de tous les temps a livré mercredi, à Pékin, un nouveau chef d'oeuvre absolu en finale du 200 m. Usain Bolt, à la veille de ses 22 ans, a réussi le doublé 100-200 aux JO, inédit depuis Carl Lewis à Los Angeles, en 1984, avec à la clé le nouveau record du monde de la distance. 19"30, le record mythique de Michael Johnson (19"32) est effacé au terme de la 8e course du Jamaïquain dans ces Jeux au cours de laquelle cinq hommes sont passés sous les 20".

Les mots manquent. On reste muet devant pareil chef d'oeuvre. Quoi qu'il arrive désormais, ces JO de Pékin marqueront l'histoire. Comme si les huit médailles d'or de Michael Phelps, effaçant son compatriote Mark Spitz des tablettes, n'avaient pas suffi à ébranler le monde du sport, voilà la face du sprint mondial bouleversée à jamais. Non content d'avoir écrabouillé, en se promenant ou presque, le record du monde du 100 mètres quatre jours plus tôt en 9"69, Usain Bolt, la veille de ses 22 ans, a répondu aux attentes de ceux qui, après un tel séisme sur la ligne droite, espéraient le voir s'attaquer à la distance supérieure et avec au mythique record de Michael Johnson, ce chrono en 19"32.



Bolt allait-il seulement renouveler son cinéma, ses mimiques de jeune homme insouciant, se contentant d'accrocher à son cou sa deuxième médaille d'or, sans s'inquiéter de ce record du monde ? Une marque portée à un tel niveau par la "Loco de Waco" que les attitudes du jeune Jamaïquain s'annonçaient de trop pour entrer à jamais dans l'histoire. Sans même évoquer la récupération à l'amorce de sa huitième course, Bolt le voudrait-il vraiment ? Quelques minutes avant la finale, une autre légende du 200 mètres, Tommie Smith, inoubliable champion olympique aux Jeux de Mexico en 1968, victoire marquée à jamais par son geste de protestation, poing ganté de noir tendu vers le ciel, contre les discriminations raciales aux Etats-Unis, annonçait sur Canal+ le grand frisson à venir: "Ce soir, tout peut arriver, même l'inimaginable. On ne sait pas jusqu'à quelle vitesse il peut aller, sa pointe de vitesse est parfaite. Et on n'a pas vu toute sa vitesse."




Bolt: "J'ai senti que j'avais ça dans les jambes"




On n'avait pas tout vu, en effet. Ce record du monde, Bolt le voulait bel et bien et il l'a eu au bout d'un tour de piste à couper le souffle. "J'étais fatigué après les demi-finales, et puis j'ai tout donné dans cette course. Ce record, je n'y avais pas pensé avant les Jeux. Sur ce 200 mètres, j'ai senti que j'avais ça dans les jambes." Ça, c'est un chrono à se pâmer, un 19''30, avec un vent défavorable de -0,9 m/sec. (contre + 0,4 m/sec. pour Johnson), à vous hérisser l'échine, qui laisse Michael Johnson, spectateur de sa propre destitution depuis son poste de commentateur pour la BBC, à deux centièmes de seconde. Il y a douze ans à Atlanta, Johnson avait construit son record de sa foulée unique.




Ce mercredi 21 août, date qui marquera l'histoire de l'athlétisme et du sport en général, Bolt a avalé cette finale de son talent extraterrestre, gobant le pauvre Zimbabwéen Brian Dzingai, auquel il rend 26 centimètres (1,93 m contre 1,67 m), placé à sa droite, au prix d'un virage époustouflant. Michael Johnson avait ciselé son coup de force sur le précédent record de Pietro Mennea (19"72) en courant un irréel dernier 100 mètres en 9"20, on n'ose imaginer le chrono de la dernière ligne droite, que Bolt cette fois ne polluait d'aucune singerie pour réussir cet inédit doublé 100-200 depuis Carl Lewis à Los Angeles, en 1984, le neuvième de l'histoire (*) mais surtout le premier assorti de deux records du monde. Deux centièmes pour s'inscrire un peu plus dans légende, au terme du 200 mètres le plus rapide de l'histoire puisque cinq concurrents seront passés sous les vingt secondes, dont les deux médailles d'argent et de bronze des Américains Shawn Crawford (19"96) et Walter Dix (19"98), qui offraient aux Etats-Unis un maigre lot de consolation après la double disqualification de leur compatriote Wallace Spearmon (19"92) et du ressortissant des Antilles Néerlandaises, Shurandi Martina (19"82), tous deux coupables d'avoir couru hors de leur couloir. Deux centièmes qui tiennent peut-être à ce cassé de Bolt sur la ligne dont Johnson, buste en avant, s'était privé en 1996.




Enfin surpris lui-même par sa performance, celui qui fut à 15 ans le plus jeune champion du monde junior de l'histoire sur la distance en 20''61 s'écroulait en croix sur cette piste appelée elle aussi à entrer dans l'histoire. Bolt s'était offert un nouveau cadeau et pouvait, le choc passé, paradait tel un môme dans un tour d'honneur au cours duquel le public du Nid d'oiseau reprenait un Happy Birthday aussi surréaliste que de circonstance.
Et le Jamaïquain reviendra dès jeudi dans ce Nid d'oiseau, où il n'en finit plus de s'envoler vers les cieux, pour son podium, dont les disqualifications prononcées l'ont privé, mais aussi samedi pour la finale du 4x100 mètres au côté d'Asafa Powell. Pour une troisième médaille d'or et un possible nouveau record du monde. En attendant mieux.



"A l'entraînement, il a réussi 19"20..."




Car l'avenir appartient à Bolt, c'est désormais une certitude. Lorsqu'on se souvient qu'il était capable de courir le 400 mètres en 45''35, à l'âge de 17 ans, on se dit que rien, non rien ne lui est interdit, comme n'hésitait pas à l'annoncer son entourage quelques minutes à peine après l'exploit. "Vous avez vu ce soir, tout s'est arrêté, commentait l'un de ses entraîneurs, Bertland Cameron: A 15 ans déjà, en "high school", il courait en 19"93, et depuis, il bat un record chaque année. Jusqu'où peut-il aller ? Regardez ce qu'il fait ce soir: 19"30 après quatre courses, il est "on the road" pour encore très longtemps. Il y a quelque temps à l'entraînement, il a réussi 19"20. Il n'y a pas de limites avec lui. Il ne copie personne, il est unique."




Usain Bolt est sans doute en effet le plus grand athlète de tous les temps, capable d'exporter son invraisemblable talent sur d'autres terrains et surtout d'autres distances: L'avenir ? "Quand il sera fatigué du 100 mètres, il se mettra sur 400 et il battra le record du monde, il peut déjà le battre. On va continuer à s'entraîner pareil, il peut encore progresser, mais aujourd'hui, il marche sur l'eau".




(*) Bolt rejoint donc Lewis (USA, 1984), mais aussi Valery Borzov (UKR, 1972), Bobby Morrow (USA, 1956), Jesse Owens (USA, 1936), Eddie Tolan (USA, 1932), Percy Williams (CAN, 1928), Ralph Craig (USA, 1912) et Archie Hahn (USA, 1904).