Odile François-Haugrin, vice-présidente du Pôle Martinique de l'Université des Antilles : "Pourquoi vouloir appliquer une décision inapplicable ?"

  Depuis plus d'une semaine, le campus de Schœlcher est en ébullition à l'annonce du retour du trio du CEREGMIA (F. CELIMENE, K. LOGOSSAH et E. CARPIN). Des étudiants se sont constitués en collectif et ont instauré un barrage filtrant à l'entrée de l'établissement, rejoints par des associations de parents d'élèves, des personnes de la société civile (membres du Comité VIGILANCE ANTI-CORRUPTION) ainsi que de quelques enseignants, personnels administratif et de service.

   Mme Odile FRANCOIS-HAUGRIN a adressé le courriel ci-après à la communauté universitaire afin de faire le point sur la situation...

 

***

 

Chers membres de la communauté universitaire,

Je reviens vers vous afin de vous informer de l’évolution de la situation sur le campus de Schœlcher que vous avez pu suivre en direct, jour après jour. Il était important pour moi de bien comprendre les enjeux de la mobilisation du collectif d’étudiants, avant de tenter de dresser un bilan de la situation devant la communauté universitaire du pôle Martinique.

 

Comme vous avez pu le constater, les entrées du campus sont bloquées depuis jeudi 22 mars, du fait de la mobilisation d’étudiants qui se sont constitués en collectif. 

 

Tout d’abord, je tiens à exprimer ma profonde indignation quant aux menaces de mort reçues par nos étudiants et qui ont fait l’objet de plaintes déposées par eux et par leurs parents. Je reste assez surprise du peu d’échos que ces menaces ont eus au sein de la communauté universitaire et ne peux que remercier les enseignants et administratifs qui, spontanément, ont tenu à être à leurs côtés pour leur apporter réconfort et soutien. Les parents de ces étudiants sont extrêmement choqués du silence général provoqué par cette violence dans la communauté universitaire, ainsi que du silence de la gouvernance centrale qui ne s’est intéressée qu’à la bonne tenue des partiels. Des examens aussi importants soient-ils peuvent-ils être mis en balance avec de telles menaces ?

 

Il est aisé, en effet, de condamner purement et simplement les manifestations du collectif étudiant, de juger inadmissibles leurs méthodes de barrages. Pourtant, une interrogation demeure et demeure encore : pourquoi en sont-ils arrivés là ? Pourquoi n’ont-ils pas été entendus avant d’en arriver là ?

 

Pour avoir discuté quotidiennement avec eux, je peux vous dire que ces jeunes s’interrogent sur plusieurs choses et je ne pense pas les trahir en les formulant comme suit, pour que tout un chacun soit informé clairement de leurs revendications et inquiétudes :

 

-Comment, face à une affaire de détournements de fonds en bande organisée qui concerne l’université, l’avocat, retenu par la présidence, peut-il parler d’apaisement ?

 

-Quelles conséquences, ce retrait dans la défense de l’UA, a-t-elles eues sur la décision du 13 mars 2018 ?

 

-Pourquoi la gouvernance de l’Université n’a-t-elle jamais dit clairement aux étudiants qui le lui demandaient, qu’elle s’engagerait pleinement à défendre vigoureusement les intérêts de l’université dans cette affaire ?

 

-Comment accepter que des enseignants qui ont été soit révoqués, soit suspendus par le CNESER dont le jugement a été annulé pour des questions de formes, puissent revenir tranquillement, alors qu’ils ont attenté gravement à la déontologie universitaire et aux principes de bonne gestion administrative et financière ?

 

-S’il s’agit d’appliquer et de faire appliquer une décision de justice, comment alors ne pas violer le principe même de cette décision, lorsqu’elle s’avère inapplicable ? Car, si une décision de justice s’avère inapplicable dans les faits, n’est-il pas encore plus contraire à son esprit de tenter de l’appliquer malgré tout, et de violer, ce faisant, la loi, en ne la respectant pas scrupuleusement ?

 

En effet,  à la lecture des extraits des arrêts de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France du 13 mars 2018 que le président de l’UA  a bien voulu me transmettre, nonobstant le fait que les délais impartis pour nous organiser étaient extrêmement contraints, certaines demandes formulées sont apparues, à Mme la doyenne de la faculté de droit et d’économie et à moi-même, matériellement irréalisables : absence immédiate de bureaux permettant l'installation de manière séparée des 3 enseignants-chercheurs au sein de la faculté de droit et d'économie conformément aux décisions de justice, impossibilité d'éviter que les intéressés reçoivent ou rencontrent les autres personnes mises en examen dans la procédure ainsi que d'entrer en relation avec elles de quelque façon que ce soit. D'autant que les enseignants-chercheurs concernés sont tous les trois mis en examen, appartiennent à la même faculté et que la levée partielle du contrôle judiciaire leur permet notamment de se livrer à leurs activités d'enseignement dans la même faculté. C'est dire la quasi impossibilité qu’il y a, à mettre en œuvre concrètement ces décisions de justice.

 

Toutes ces questions relatives aux litiges avec les usagers, les personnels, les tiers et les actions en justice, sont dans le champs de la délégation de pouvoir du président de l’UA, qui lui a été accordée par le conseil d'administration le 21 février 2016. En la matière, je n'ai reçu aucune délégation. Dès le 22 mars au matin, après avoir été à la rencontre des étudiants et évalué la situation, j’ai informé le président de l’UA du blocage des entrées du campus de Schœlcher et ai sollicité sa présence physique afin qu’il exerce les compétences qui lui sont dévolues.

 

Toutefois, une autre façon pour le président de l’UA, d’exercer ses compétences serait de renvoyer à la justice la difficulté dans laquelle elle place l’université, en contestant purement et simplement cette décision devant la Cour de Cassation.

Pourquoi s’efforcer de vouloir appliquer une décision inapplicable ? Voudrait-on réintégrer à tout prix ces personnes ?

 

Les questions de ces jeunes étudiants me paraissent légitimes et si leur méthode peut paraître contestable, elles ne doivent pas faire perdre de vue qu’elles sont provoquées par une absence d’écoute et le besoin d’exprimer leur vive inquiétude et leur incompréhension face à ce qui se passe dans leur université. Ils ne souhaitent pas que des personnes soupçonnées d’avoir commis des faits d’une gravité rare, reviennent comme si de rien n’était, sur le campus. Ils veulent savoir ce que le président entend faire pour défendre l’université des malversations qu’elle a connues, ce qu’il compte faire pour protéger ses étudiants, lorsqu’ils sont menacés par des proches de ces mêmes personnes ou lorsqu’au sein de l’université elle–même, des collègues les menacent de ne pas avoir leur diplôme s’ils poursuivent leur mouvement.

 

Or, alors que les barrages étaient installés, dès le jeudi 22 mars, le président, attendu par les étudiants, dès le vendredi 23 mars, m’informait qu’il ne viendrait sur le pôle Martinique que le mardi 27 mars pour rencontrer une délégation d’étudiants, sans par ailleurs en informer directement le collectif étudiant qui l’avait sollicité.

 

Ce choix fait par le président de ne pas venir sur le pôle Martinique au plus tôt, a eu pour conséquence le maintien des barrages aux entrées du campus de Schœlcher et la montée de la « grogne » étudiante.

 

Ce n’est donc qu’hier que le président de l’UA accompagné de son équipe, et en présence de la VP pôle de Martinique, a rencontré sur le campus de Schœlcher une délégation composée d’étudiants, d’enseignants, de parents d’étudiants, de représentants d’associations de parents d’élèves, de représentants du comité Vigilance Anti-Corruption. Les demandes et des propositions ont été clairement formulées par la délégation, et si le président a pu apporter des réponses concernant notamment la sécurité des étudiants, il ne s’est pas, en revanche, prononcé concernant l’application des décisions de justice liées à l’affaire du Ceregmia et a donné rendez-vous à la délégation aujourd’hui à 15h en visioconférence pour lui communiquer ses propositions. 

 

De ce fait, le collectif étudiant poursuit sa mobilisation ce jour, les barrages sont maintenus et seuls les résidents du Crous et les personnels de la cantine devraient pouvoir pénétrer au sein de l’établissement.

 

Croyez bien que j’appelle de mes vœux qu’une décision raisonnable soit actée ce jour afin que nous abordions sereinement la reprise de nos activités après les vacances de Pâques. 

 

Croyez bien aussi que je regrette que certains collègues s’émeuvent davantage de la mise de barrages par les étudiants, que des menaces de mort que ceux-ci ont reçues par les étudiants ou de leur volonté d’évoluer dans une université digne de ce nom. La population est en émoi et la communauté universitaire du pôle Martinique, en grande partie silencieuse.

 

Bien entendu, je vous tiendrai informée des résultats de la négociation de ce jour, à laquelle je prendrai part.

 

Bien à vous.