CHLORDECONE : QUE FAUT-IL ATTENDRE DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE PARLEMENTAIRE VALIDEE LE 4 JUIN 2019 ?

Ainsi donc, les députés d’Outre-Mer siégeant dans les rangs socialistes ont obtenu l’aval du gouvernement de La République En Marche (LREM) pour la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. Cependant, au-delà de cette surprenante unanimité politique sur les bancs de l’Assemblée Nationale, il convient d’examiner les enjeux sur le plan juridique ainsi que les tenants et aboutissants de ladite commission d’enquête. Notre rôle est d’alerter la population sur la portée réelle de cette annonce officielle à grand fracas médiatique. Et, notre vigilance est d’autant plus fondée que, par le passé, deux députés antillais ont sacrifié cette commission d’enquête sur l’autel des intérêts personnels.

 

En février 2007, dans notre livre « Chronique d’un empoisonnement annoncé – Le scandale du Chlordécone aux Antilles françaises – 1972-2002 », Raphael CONFIANT et moi dénoncions déjà les tentatives d’instrumentalisation de l’opinion publique par les députés Joël BEAUGENDRE & Philippe EDMOND-MARIETTE qui, en toute connaissance de cause, avaient opté pour une Commission d’Information Parlementaire (2005) dont on s’aperçoit, in fine, qu’elle n’a fait qu’informer sur ce que nous savions déjà depuis belle lurette. 

 

12 ans plus tard, la lumière n’est toujours pas faite sur les auteurs des autorisations de mise sur le marché (AMM) de ce dangereux pesticide, sur l’étendue de ses conséquences sanitaires et environnementales réelles, sur les responsabilités respectives des latifundistes et des pouvoirs publics, sur les dispositifs de réparation et d’indemnisation des ouvriers agricoles et des populations de Martinique et de Guadeloupe. Preuve supplémentaire de l’inefficience de ladite Commission d’information parlementaire de 2005 !

Dans un tel contexte, nous aurions donc pu nous réjouir de l’annonce, enfin, d’une Commission d’Enquête Parlementaire aux pouvoirs d’investigation très étendus avec un droit de citation assorti de sanctions pénales ainsi qu’une possibilité de saisine de la Cour des Comptes pour enquêter sur la gestion des services et organismes concernés.  Un tel dispositif juridique aurait permis de lever le voile sur bien des services qui ont été, soit à l’origine, soit complices de cet empoisonnement généralisé. Il aurait également rendu obligatoire l’ouverture des registres de la comptabilité des latifundistes et ceux de la Sécurité sociale afin d’identifier de manière nominative tous les ouvriers agricoles qui ont travaillé dans la banane de 1972 à 2002. Que sont-ils devenus aujourd’hui ?

 

Une Commission d’Enquête Parlementaire

… aux restrictions étendues !

 

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Malheureusement, à peine annoncée, nous apprenons que la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) à venir ne sera pas dotée des pouvoirs d’enquête parlementaire habituels à l’instar de ceux des affaires d’Air Lib & de la canicule (2003), d’Outreau (2005), de la grippe A (H1N1) (2010) ou, plus récemment, de Lactalis (2018). Des restrictions de taille qui vont priver nos députés antillais d’un levier indispensable à la manifestation de la vérité dans l’exercice de leur mission de contrôle de l’action du gouvernement et de l’administration. 

 

Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur la portée de cette CEP dont les restrictions risquent d’entraver singulièrement l’expression effective de la démocratie. Car, au-delà des auditions publiques fortement médiatisées, il va bien falloir expliquer à la population les limites de cette Commission d’Enquête Parlementaire qui n’est qu’un outil de contrôle de l’action du gouvernement et des pouvoirs publics. En aucun cas, elle ne peut se substituer à une juridiction. A cet effet, on peut s’étonner également de l’ouverture d’une telle CEP alors même qu’une instruction judiciaire est en cours à l’issue de plusieurs plaintes au pénal. 

 

Une création de Commission d'Enquête Parlementaire

... contraire à la Constitution ?

 

Aux termes des dispositions constitutionnelles, « il ne peut être créé de commission d’enquête parlementaire sur des faits ayant donné lieu à une instruction judiciaire ». C’est le principe à valeur constitutionnelle de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et l’autorité judiciaire. Or, à ce jour, plusieurs plaintes ont été déposées par des associations écologiques tant en Martinique qu’en Guadeloupe pour « Mise en danger de la vie d’autrui par violation manifeste et délibérée d’une obligation de sécurité et de prudence » et « administration de substances dangereuses et interdites ». Force est de constater que depuis 2007 toutes les demandes de Commission d’enquête parlementaire relatives au scandale du Chlordécone ont été rejetées. 

 

Ainsi, le 19 septembre 2007, la Garde des Sceaux, Rachida Dati, adresse une lettre au président de l’Assemblée nationale lui précisant qu’une enquête judiciaire est en cours et que, par conséquent, la Commission d’enquête parlementaire réclamée par les élus antillais ne pourrait être contraire à la Constitution. 

De même, le 17 octobre 2007, le président de la Commission des affaires économiques de l’ Assemblée nationale, Patrick Ollier, a rejeté la demande de cette commission d’enquête au motif de l’ouverture d’une procédure judiciaire sur cette affaire. 

Pourtant, nonobstant ce principe de séparation des pouvoirs, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale déclare que « les conditions de recevabilité sont réunies ». Y a-t-il donc eu mensonge d’Etat en 2007 ?

 

En réalité, ladite Commission d’enquête parlementaire à l’initiative du groupe socialiste, validée par la Conférence des présidents de l’AN le 4 juin 2019, a été accordée aux députés d’Outre-Mer avec beaucoup de réserve quant à son périmètre d’investigation ce qui limitera considérablement sa portée juridique. 

Aussi, face à de telles restrictions, on ne peut qu’alerter l’opinion en espérant que devant les faits délictueux à répétition dans ce scandale du Chlordécone, les députés sauront transmettre l’intégralité de leurs informations au Ministère de la Justice quitte à saisir directement le Parquet. 

 

Louis BOUTRIN

Docteur en Droit

Avocat