L'eau: un enjeu mondial et régional

L’eau, un enjeu mondial et régional

    No water, no future (Pas d’eau, pas d’avenir) disait Nelson Mandela en août 2002 au Sommet du développement durable de Johannesburg. Comme il avait vu juste, diront dans quelques années  les spécialistes qui se pencheront sur l’état des ressources en eau de la planète.  Car, d’ici moins de 25 ans, la terre comptera 2 milliards d’habitants supplémentaires et si nos comportements ne changent pas, l’eau viendra à manquer. Les pays en situation de pénurie connaîtront d’énormes difficultés sur le plan sanitaire mais aussi économique et social car l’eau demeure le premier facteur de développement. C’est dire les enjeux de cette précieuse ressource.   

 

            Actuellement,40 % de la population mondiale connaît une situation de pénurie et lesexperts estiment à plus d’1,5 milliard le nombre d’habitants de laplanète qui n’ont pas accès à l’eau en quantité suffisante. Or, lesquantités d’eau douce disponibles ne cessent de diminuer : les réservesmondiales qui étaient évaluées à 16 800 m3 par personne et par an en 1950, atteignent aujourd’hui à peine 7300 m3.Et encore, ce n’est qu’une moyenne ! L’eau douce est en effetinégalement répartie dans le monde et les pays les plus défavorisés setrouvent en Afrique du Nord et Subsaharienne et au Moyen-Orient. Unerépartition liée en partie, mais pas exclusivement, au processus dedésertification et au dérèglement climatique.

 

            Lesconséquences sur le plan sanitaire sont catastrophiques : l’eauinsalubre est la première cause de mortalité au monde bien avant lamalnutrition, le paludisme, le SIDA ou les maladies les plusfréquentes. En effet, chaque année, 8 millions de personnes meurent demaladies liées à une eau polluée ou souillée. Malgré les progrès de lamédecine, la typhoïde, le choléra ou la diarrhée continuent à faire desravages. Les enfants en bas âge y paient un lourd tribut : 4 millionsd’entre eux meurent avant l’âge de 5 ans et la situation n’est pasprête à s’inverser tant que la situation sanitaire de ces pays nechange pas. Le drame de l’eau c’est aussi celui de la pauvreté puisquedans bien des cas, ce n’est pas tant la ressource qui fait défaut maisbien l’absence d’infrastructures pour l’extraire, la traiter etl’acheminer jusqu’aux foyers. Une situation mise en évidence par lacarte d’accès à l’eau potable qui reflète bien le clivage pays riches –pays pauvres.   

 

            Dansnotre région, la situation de l’eau demeure également préoccupante.Malgré l’abondance des précipitations, notamment durant les saisonscycloniques, l’eau vient à manquer en période de carême. Certainesîles, à l’instar de Haïti où la déforestation a été particulièrementsévère, connaissent des carêmes très rudes intercalés de périodes defortes pluies qui peuvent évoluer vers des inondations quelquefoiscatastrophiques.

 

            En Guadeloupe, la pluviométrie importante permet une ressource abondante.  C’est près de 120 millions de m3 d’eau qui sont prélevés chaque année dans le milieu naturel dont 62,7 millions de m3 pour l’alimentation en eau potable (52%)* (*source : Chiffre 1998 - SDAGE de
la Guadeloupe ) - . Les installations hydroélectriques (33,5%),l’irrigation pour l’agriculture (12,5%) et l’industrie (1,9%) serépartissant les autres usages des volumes d’eau prélevés. Mais cesressources en eau sont inégalement réparties dans l’espace. Il n’existepas de cours d’eau permanent en Grande-Terre ni dans les autres îles del’archipel. En effet, 80% de la ressource destinée à l’eau potable sesituent sur
la Basse-Terrealors que 53% de la population se concentre en Grande-Terre autour dela conurbation de Pointe-à-Pitre. L’eau destinée à la consommationhumaine doit donc être transportée sur de très longues distances versl’agglomération pointoise ce qui pose des problèmes d’acheminement.L’eau potable en Guadeloupe provient principalement des prises enrivières (84,6 %), de captage de source (9,2%), de forage (4,9%) et dedessalement d’eau de mer (1,3%) – un process excessivement coûteuxdestiné à l’approvisionnement des îles de Saint Martin et de SaintBarthélemy. La vétusté des infrastructures et les nombreuses fuites surle réseau (50% seulement de l’eau prélevée est effectivementdistribuée) ne permettent pas toujours de satisfaire la demande en eaupotable notamment lors des périodes de carêmes. Reste à résoudrel’épineuse question de la contamination au chlordécone et autrespesticides déversés « san manman » depuis 1972 dans les bananeraiessituées principalement en Basse-Terre.

 

            En Martinique, le niveau de précipitation est tout aussi élevé.  Près de 40 millions de m3 d’eau brute sont prélevés dans le milieu naturel dont 35 millions de m3 serviront à l’alimentation en eau potable de la population. Globalement,
la Martinique produit 164 000 m3d’eau chaque jour, ce qui permet de couvrir la demande actuelle de consommation d’eau potable estimée, en moyenne, à 175 litrespar jour et par habitant contre 200 l/jour et par habitant enGuadeloupe. Mais, la forte densité de la population (> 350 hab/km²)se traduit par une pression foncière importante notamment dans lecentre et le sud de l’île. Ceci pose avec une certaine acuité lamobilisation et l’acheminement de la ressource qui provientprincipalement du Nord de
la Martinique quece soit à partir des prises en rivière (91%), des sources (8%) ou des 5forages de Nord-Caraïbe. Ces forages ne couvrant que 1% du volume totald’eau prélevé. Quant à la ressource souterraine, en dehors de celled’Ajoupa Bouillon, elle n’est pas exploitée. La nappe phréatique duLamentin, dont la capacité est estimée à 20 000 m3/jour, est de plus en plus exposée à des risques de pollution à cause de l’extension de la culture de la banane.  Elledevrait faire l’objet de mesures urgentes de protection. Car,l’utilisation excessive et démesurée de HCH bêta et de Chlordéconecontre le charançon, durant pratiquement trois décennies, s’esttraduite par une très forte contamination des rivières dans des zonesoù la culture de la banane représente 80 % des terres cultivées. Deuxpoints de captage d’eau desservant l’alimentation en eau potable de lapopulation sont contaminés de façon chronique à des taux nettementsupérieurs au seuil autorisé de 0.1 microgramme par litre : le captagede la rivière Capot à Basse Pointe (25 000 m3/jour) et celui de la rivière Monsieur à Saint-Joseph (1 100 m3/jour). Cette très forte vulnérabilité de la ressource  ne concerne pas seulement les rivières puisqu’en début 2006, 12 sources sur les 14 analysées dépassaient le seuil de 0.1μg/l.La source du bord de mer à Basse-Pointe, très appréciée des pointois,atteignant un taux inquiétant de chlordécone de 44 fois la norme(chiffres DSDS Martinique).

             Mettre en œuvre le S.D.A.G.E.

 

         L’étatdes lieux des ressources en eau est aujourd’hui connu tant enGuadeloupe qu’en Martinique. Les besoins en eau pour la consommationhumaine et l’agriculture sont également connus. Reste  aujourd’hui à passer à une phase de gestion plus rationnelle de la ressource. Celle-ci suppose  desefforts réels pour sécuriser et diversifier la ressource en eau, unchangement de comportement de la population mais surtout des autoritéspour améliorer la qualité des eaux, une protection et un entretienefficient des rivières, une prévention contre les pollutions agricolesmais aussi domestiques et industrielles et enfin une coordination dansla gestion de l’eau desservie à la population. 

    Autantde préconisations qui figurent dans le Schéma Directeur d’Aménagementet de Gestion de l’eau (SDAGE), validé depuis le 3 juillet 2001 après 5années de réflexion et de travaux. Cinq ans après cette validation, unconstat s’impose : le S.D.A.G.E., qui a le mérite d’exister, tarde àêtre mise en œuvre ! L’eau vient à manquer à nos robinets en période desécheresse, les réserves en eau pour l’agriculture sont égalementinsuffisantes, le dernier rapport de l’Institut Français del’Environnement (IFEN – Ministère de l’Environnement – Août 2006)confirme une pollution chronique de l’eau des rivières et des sourcesen chlordécone, la gestion de l’eau potable et de l’assainissement esttoujours aussi atomisée et les comportements des usagers vis-à-vis dela ressource n’ont guère évolué.

           C’estdans ce contexte difficile que certains acteurs de l’eau tentent desortir de cette zone de turbulence. Sans faire de vague, c’est auquotidien qu’ils œuvrent pour assurer à la population une eau dequalité et un assainissement convenable des eaux usées. Des effortssont également consentis pour réduire les pertes en eau liées auxnombreuses fuites sur les réseaux. Ces pertes, estimées de 20 à 50 %suivant la vétusté des réseaux, tendent à diminuer avec le changementdes canalisations. Le Conseil Général et les Syndicats intercommunauxde l’eau se sont investis dans une politique de modernisation desusines de production d’eau potable ce qui devrait améliorerconsidérablement la qualité de l’eau au robinet. Mieux informée et plussoucieuse de sa santé, la population n’acceptera plus que l’ontergiverse avec les normes. A charge pour les services de l’Etat defaire respecter la réglementation en matière de prélèvement et de rejetdans le milieu naturel. Un impératif incontournable, compte tenu denotre insularité et surtout, un passage obligé si nous voulons,collectivement, relever les défis à venir de l’eau.

 

Louis BOUTRIN