En tant que médecin, je suis soumis au serment d’Hippocrate, et donc à un devoir de prévention des maladies et d’information du public. C’est dans cet esprit que j’ai coordonné le Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique
Après la récente polémique qui a eu lieu autour de ce rapport – dont le contenu est resté totalement inchangé depuis sa parution en juin 2007 –, certains prétendent que je serais revenu sur mes déclarations initiales en expliquant qu’il n’existe pas de lien scientifiquement établi entre le chlordécone et le cancer de la prostate. Or, mon discours est toujours resté constant, même si on peut regretter que des raccourcis malheureux aient pu laisser faire croire le contraire.
En page 38, le rapport s’interroge en effet sur la pertinence de l’étude épidémiologique Karu-prostate, qui a pour objectif de montrer s’il existe ou non un lien associatif entre une contamination par le chlordécone et l’apparition des cancers de la prostate en Guadeloupe : « Pourquoi s’être fixé comme seule cause possible aux cancers de la prostate, le chlordécone, alors que la cartographie réalisée en Martinique montre qu’il n’existe aucune relation géographique entre le zonage de la pollution par le chlordécone (très intense dans la partie Nord-Est de l’île), et l’incidence élevée des cancers de la prostate (surtout décelés dans le Sud), autrement dit, que les cancers de la prostate sont plus fréquents dans des régions qui n’apparaissent pas être particulièrement polluées par le chlordécone ? »
Des études toxicologiques ont démontré le caractère CMR (cancérigène, mutagène et/ou reprotoxique) du chlordécone, qui est très fortement suspecté d’être impliqué notamment dans l’apparition de myélomes (leucémie des os) dans le Nord de la Martinique. Mais en ce qui concerne les cancers de la prostate, il serait nécessaire d’étudier au moins une quinzaine d’autres pesticides et leurs métabolites pour comprendre pourquoi les Antilles sont si lourdement touchées : la Guadeloupe est le territoire où l’incidence de ces cancers est la plus élevée dans le monde, alors que l’incidence est de même très élevée pour la Martinique, mais on ne peut savoir ce qui en est aujourd’hui faute de mise à jour du registre des cancers depuis 2000.
En ce sens, l’ARTAC a soumis aux différentes instances locales concernées et va soumettre aux pouvoirs publics nationaux une proposition de programme de recherche chiffrée, visant à réaliser une étude de biomonitoring portant sur les tissus adipeux et des dosages sanguins des personnes touchées par le cancer de la prostate ou du sein, qui seront mis en parallèle avec les résultats obtenus à partir de personnes témoins. En outre, des études de toxicogénomique devraient permettre de mieux connaître l’impact de différents pesticides sur les gènes humains, et en particulier de vérifier s’il existe un lien de causalité entre la contamination par le chlordécone et l’augmentation de fréquence des myélomes en Martinique.
Les subventions attendues pour la réalisation de ces études permettraient de rémunérer les différentes équipes de recherche impliquées, notamment les laboratoires spécialisés dans ce type d’analyses. Notre objectif est avant tout d’apporter des réponses scientifiques permettant d’expliquer l’incidence excessivement élevée des cancers, en particulier de la prostate, aux Antilles afin d’en améliorer la prévention et le traitement.
Lorsqu’à sa demande j’ai rencontré M. le Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, M. Christian Estrosi, je lui ai indiqué que le rapport était incontournable du point de vue scientifique, qu’il n’y avait aucun « catastrophisme » dans mon discours, et qu’il était de sa responsabilité de contribuer à la mise en œuvre le plus rapidement possible d’un plan d’action global impliquant de façon transversale les aspects environnementaux, sanitaires et agricoles, afin de remédier aux problèmes actuels, cela dans l’intérêt des antillais. J’ai également indiqué au Secrétaire d’Etat qu’un tel plan pouvait être mis en place sans nuire aux intérêts socio-économiques des Antilles, mais que la sécurité sanitaire des antillais, y compris des générations futures, est prioritaire.
Un récente réunion avec le Directeur-adjoint du cabinet de la Ministre de la Santé, Mme Roselyne Bachelot, ainsi que des responsables de la gestion des alertes sanitaire, m’a également permis d’insister sur la nécessité de mener des études de biomonitoring et de toxicogénomique, afin d’identifier les causes exactes de cette épidémie de cancers.
Nous attendons donc des représentants de l’Etat et des autorités locales la mise à disposition de moyens suffisants permettant de faire face à la crise actuelle et de faire réaliser les études annoncées dans les plus brefs délais.
Je me dois enfin de remercier l’ensemble de mes confrères et consœurs médecins qui se mobilisent localement pour faire émerger la vérité.
Pr. Dominique BELPOMME
Cancérologue, Président de l’ARTAC