BASSE-POINTE : TRISTE FIN POUR L’HOTEL LEYRITZ

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Dans l’indifférence générale, l’un des plus beaux fleurons du parc hôtelier martiniquais vient de s’en aller : il s’agit de l’hôtel Leyritz, dans la commune de Basse-Pointe, la seule structure d’hébergement de rang international de la région Nord-Atlantique de la Martinique. A cours d’une séance de vente aux enchères sr les lieux mêmes ont été vendus, parfois bradés, un mobilier qui, pour certaines pièces, datait du 18è siècle. Dans la salle, peu de Martiniquais parmi les acquéreurs, peu de non-Békés en tout cas. Seulement, tout au fond, une partie des 200 employés tétanisés, regardant avec effarement partir à jamais des objets, des meubles ou des tableaux dont ils avaient pris soin depuis près dune trentaine d’année. Sans salaire depuis janvier, stoïques mais amers, certains murmuraient : « Et dire que nous n’avons pas fait une seule grève pendant 30 ans ! »

 

   Tombe ici un énorme mensonge du patronat, une ritournelle qui nous est constamment relayée par les medias, tant en Martinique qu’en Guadeloupe, à savoir que si l’industrie hôtelière coule, c’est parce que ses employés sont abonnés à la grève. Or, à l’hôtel Leyritz, le personnel n’a jamais croisé les bras un seul jour. Et pourtant ! Alors, on nous dit que l’hôtel croulait sous les dettes, qu’il n’était plus rentable, ce qui explique qu’il soit passé de main en main a cours des dernières années. Cette explication paraît assez étonnante quand on examine cette structure hôtelière dans le détail. En effet, elle est unique dans les Petites Antilles, voire même dans toute la Caraïbe : il s’agit, en effet, d’une Rue-Cases-Nègres, d’un alignement de cases de coupeurs de canne de l’ancienne plantation Leyritz, qui ont été améliorés, dotés du tout confort, tout en conservant leur aspect rustique, leur architecture en bois datant du temps-longtemps. Dormir à Leyritz, séjourner à Leyritz, c’était avoir l’impression de voyager à rebours du temps, retrouver un peu de l’atmosphère du 18è siècle. Certains ont pu faire la fine bouche en disant que tout cela rappelait l’esclavage et était malsain.

Argument irrecevable car les châteaux européens rappellent le servage et les beaux palais d’Inde ou d’Asie l’exploitation de masses serviles, ce qui n’a jamais empêché les Européens et les Asiatiques d’aujourd’hui de les réutiliser à des fins hôtelières. L’hôtel Leyritz était un endroit magnifique où les présidents Giscard, Mitterrand et Ford n’ont pas hésité à dormir. C’était aussi un lieu qui accueillait sans problème la clientèle locale, surtout à la basse saison. Un lieu de silence et de recueillement pour tous ceux qui cherchaient à fuir l’agitation des plages de sable blanc et lui préféraient le silence des chemins creux, entre les bananeraies, à peine troublé par le bruissement d’une riviérette. C’était un hôtel à la campagne, en pleine campagne. Au mitan de gens qui travaillaient la terre tout au tour. Loin des clichés du paradis tropical insulaire et du « Sun, sex and sea ».

   Comment avons-nous pu laisser partir en fumée un tel bijou ?

   Quand je dis « nous », je pense d’abord à deux catégories de personnes : nos porteurs de capitaux, patrons et autres chefs d’entreprise d’une part ; nos hommes politiques de l’autre. A l’heure où les Békés se proclament soi-disant « Tous Créoles ! », au moment où ils prônent la fraternisation entre les différentes composantes de la société martiniquaise, on se rend compte que, dans le même temps, la notion de patriotisme économique leur est inconnue. Car l’hôtel Leyritz faisait partie du patrimoine martiniquais, d’un patrimoine qui aurait dû être inaliénable, au même titre, toutes proportions gardées évidemment, que tel château de la Loire ou tel palais de maharadjah. C’est dire qu’à ce titre, il devait être sauvé coûte que coûte, quitte à le transformer en autre chose, en résidence d’artistes ou en musée, par exemple. Il y a suffisamment d’argent qui circule dans ce pays pour cela.

Mais, il est aussi vrai, hélas, qu’il est plus facile et plus juteux de se positionner en tant que représentant local d’une grande marque d’automobiles, d’une enseigne d’hypermarché ou de magasin de bricolage. Les « rafleurs de 40% » que sont nos chefs d’entreprise, les tout premiers en fait à profiter du sursalaire versé aux fonctionnaires, n’aiment pas le risque. Surtout les Békés. Car certains groupes « mulâtres », tel le groupe Montplaisir, ont su donner l’exemple et faire preuve à maintes reprises d’un réel souci de l’intérêt général de la Martinique. Plantation jadis békée, ayant conservée sa maison de maître et son magnifique mobilier ancien, le Leiritz aurait dû normalement avoir été repris par un groupe béké. Cette classe en a les moyens. Mais cessons de rêver ! Nous ne sommes ni à Barbade ou à Maurice. Là-bas, ceux qu’on appelle les « Red legs » et les Franco-Mariciens ont compris depuis longtemps qu’il était nécessaire, sinon indispensable, de trouver un équilibre entre leurs intérêts particuliers et ceux de leurs pays. Il est vrai que la Martinique n’est pas, à proprement parler un « pays, mais un « département d’Outre-Mer »

   Le deuxième groupe qu’il convient d’interpeller sur ce dossier est celui que forment nos chers politiciens et élus. Nous venons de sortir d’une campagne électorale qui, des semaines durant, a occupé tous les médias, faisant oublier des dossiers importants comme celui justement de l’hôtel Leyritz. Nos politiciens ont discouru, promis, dénoncé, revendiqué, annoncé des programmes de cci et de cela,  et puis, une fois la fièvre électorale retombée, une fois le président du conseil général réélu, que chacun a obtenu sa sucette (poste d’adjoint ou de président de commission), chacun est retourné à son petit train-train habituel. Aucun d’eux n’a prononcé le moindre mot sur la situation dramatique de l’hôtel de Basse-Pointe. Aucun deux n’a lancé la moindre proposition crédible pouvant permettre d’éviter le naufrage annoncé. Le CMT (Comité Martiniquais du Tourisme) est resté muet. Alors que le tourisme de croisière bat de l’aile dans notre île, que les tentatives de liaisons aériennes régulières avec l’Amérique du Nord (cf. le récent retrait de la compagnie Delta Airlines) s’avère une nouvelle fois un fiasco, n’était-il pas indispensable de tenter de sauver une structure aussi originale que l’hôtel Leyritz, structure qui combine la nature tropicale et l’histoire antillaise, atout que ne possède aucun des luxueux hôtels 4 ou 5 étoiles du Sud de la Martinique, certes très modernes, mais sans âme ? Ici, je ne pointe personne du doigt en particulier. Je constate simplement que, malgré la bonne volonté de certains, notre corps politique est impuissant à intervenir sur les dossiers vitaux pour le devenir de notre pays. 

Qu’il joue, contraint ou consentant, je ne sais, son rôle d’élite « de représentation » dépourvue du moindre pouvoir de décision, hormis dans des secteurs de moindre importance. Je sais qu’au cœur de certains élus autonomistes ou indépendantistes, il y a forcément dû y avoir un certain pincement quand ils ont vu à la télé la vente-braderie du mobilier du Leyritz. Je sais qu’ils ont dû mesure toute la relativité de leur pouvoir et le côté folklorique de l’écharpe tricolore qu’ils arborent dans les grandes circonstances. A Basse-Pointe même, les « élus du peuple » ont été incapables de défendre le « peuple ». Le peuple c’est-à-dire les 200 employés de l’hôtel et les quelques 800 personnes qu’ils font, directement ou indirectement, vivre. Car le Leyritz fermé, ce sera aussi moins d’activité dans la commune. Moins de ventes dans les supérettes, dans les stations-service, dans les restaurants, dans les boutiques d’artisanat etc…Bref, il s’agit d’une catastrophe économique majeure pour ce que nos responsables du tourisme appellent pompeusement « Le Grand Nord ».

   Or, on constate dans le même temps que nos élus dépensent des dizaines de milliers d’euros pour des manifestations sportives ou des spectacles musicaux, toutes choses parfaitement respectables, mais qui sont loin d’être vitales pour le devenir de la Martinique.  Comment mettre, en effet, dans la balance le sauvetage de l’hôtel Leyritz avec tel semi-marathon ou telle comédie musicale financée à grands frais par les deniers publics, c’est-à-dire nos impôts à tous ? Est-ce que nous ne marchons pas sur la tête dans ce pays ?

   Dans la Rome antique, les dirigeants s’arrangeaient pour donner au peuple « du pain et des jeux ». Dans la Martinique d’aujourd’hui, leur alter ego n’offrent que des jeux. Rien que des jeux. Le pain, lui, est retiré de la bouche d’un nombre croissant de Martiniquais sans que quiconque trouve quoi ce soit à redire. Pour ceux qui liront ce papier et qui ne connaissent pas la Martinique, il faut qu’ils sachent que la région du Nord-Atlantique où se situe l’hôtel Leyritz est la plus humide, la plus tropicale, de l’île. Il y pleut beaucoup plus que partout ailleurs et le taux d’humidité y est nettement plus élevé. Cela veut dire que d’ici trois mois, six mois, un an, les cases-bungalows de l’hôtel seront envahis par la végétation et que dans deux ans, il n’en restera plus rien.

   « Cela fera du boulot pour les archéologues de l’an 2070 » diront certains cyniques.

   En effet…

                                                                                                                                                         Raphaël Confiant