GUADELOUPE - Harry MEPHON épingle le "Plan Caraïbe" de la FFA

Le plan Caraïbe : un athlétisme autrement, pas à n’importe quel prix !

La récente visite de la Fédération Française d’Athlétisme accompagnée de la triple championne olympique guadeloupéenne, Marie José Pérec a eu pour but la présentation du «Plan Caraïbe».


Après les faibles résultats internationauxrécurrents des athlètes français depuis plus de 10 ans confirmés en août lorsdes championnats du monde de Berlin, c’est le branle bas de combat dans laFédération nationale pour tenter de redresser le cap. A ce déclin correspond, depuis2003, l’émergence inexorable de l’athlétisme des West-Indies. Les performancesdes Jamaïcains, des Trinidadiens, des Cubains Barbadiens, des Bahamas et deSt-kits et Nevis, d’Antigua inondent le monde et portent des interrogations surles biens faits d’une zone géographique, la «Caraïbe» et les départementsfrançais d’Amérique (la Guadeloupe, la Martinique) dans le temps fournisseur officield’athlètes des équipes de France et pourvoyeurs de médailles. Le «réservoir»non entretenu se tari tant le recul est important. Ce questionnement a pousséla Fédération à proposer un plan «localisé» pour ces régions. Il s’agit, dansles grandes lignes énoncées sans précisions, d’entrainer, de maintenir nosjeunes talents le plus longtemps sur place. Il n’est plus question qu’ilss’exilent systématiquement en France ! Des équipements performants serontconstruits des conventions seront signées avec des Etats de la Caraïbe pourfaire du «haut niveau»! Cette idée verticale est louable à première vue,d’autant plus qu’elle flatte notre ego. Après avoir tant donné à la Nation sansaucun retour, enfin on s’occupe de nous ! La volonté de résoudre le problème del’athlétisme Français et celui de l’athlétisme guadeloupéen et martiniquais estla réelle force du plan, d’autant plus qu’il s’agit aussi d’insérerl’athlétisme Guadeloupéen dans son environnement proche en tissant des échangesofficiels avec nos voisins de la Caraïbe. Autrement dit, on revient à ce qui sefaisait déjà dans les années 60.

L’émotion passée, suffit-elle à garantir etpérenniser des résultats sur lesquels le commanditaire ne s’est pas prononcésur la formulation claire des objectifs sportifs à atteindre, sur un échéancierprécis et la réelle portée sociale de ce projet ? Qui peut dire aujourd’hui, sicette entreprise présentée comme la nouvelle panacée salvatrice de l’athlétismeguadeloupéen moribond est efficiente et permettra de produire en nombre denouveaux champions pour les grand rendez-vous des équipes de France? Qui portece plan ?

Malgréla rencontre d’athlètes, et de certaines institutions, il existe un manque delisibilité. Aucun document de travail détaillé n’a été publié. Paradoxalement cesmesures s’accompagnent déjà de sommes importantes, des apports de la fédérationet de l’Etat. Les signatures de conventions signées avec la collectivité régionaleattestent une certaine précipitation financière.

 

La prise en compte de laréalité du terrain : le travail fait dans les clubs.

Labrève rencontre avec les clubs (faiblement représentés) est peu rassurante dansla qualité de la concertation et la considération accordée dans cette affaire.Nous sommes sortis de là incapable de transmettre des informations claires afinde rassurer nos membres en attente de moyens. En effet, les grandes lignes annoncéesont tendance à oublier que la réalité du haut niveau repose essentiellement surle dynamisme et le travail des clubs sur lesquels pèsent de grandes pressions etangoisses ; surtout un manque de structuration et de moyens financiers. J’insistesur cette notion de travail/salaire qui n’est jamais considérée, reconnu etpris en compte quant elle s’applique aux clubs, c’est-à-dire une armée debénévoles. Il est peu anodin de dire que le club formateur de Pérec et du présidentde la Ligue de la Guadeloupe, le Cygne Noir n’a plus section d’athlétisme ettraverse grave une crise financière qui remet en cause son existence. Ce grand clubhistorique de Basse-Terre (1932) dont le rôle social connu de tous les Guadeloupéenillustre la fragilité du sport guadeloupéen et de l’athlétisme en particulier.

Certains clubs sont en attente de réponsesclaires sur des aides directes. Si certaines structures sont légitimées etfinancées ce principe au nom de l’équité doit s’appliquer à la base del’ensemble des acteurs de l’athlétisme. Les clubs en plus leur légitimité sontcrédibles dans le fait qu’ils représentent tout l’athlétisme guadeloupéen. Tousles clubs dans leur fonctionnement sont concernés par les financements afin :

-      D’acquérirdu matériel didactique nécessaire aux formations des athlètes.

-      Gérerles transports et les déplacements.

-      Derétribuer des cadres d’autant plus, leurs formations couteuses à ce jour ne garantissentaucun emploi. On ne peut envisager le haut niveau sans ce passage obligé de la professionnalisationdes cadres compétent alors qu’il est pensé pour certaines structures il n’estpas pris en compte pour la majorité des hommes de terrain. L’athlétisme de nosparents est mort ! Le bénévolat n’est plus de mise dans une société encrise économique et surtout quand on demande des résultats et des hautesperformances. Marie-Josée Pérec sait aussi ce qu’elle a du débourser pour ses entrainementscaliforniens et la qualité des résultats obtenus. La compétence à des exigenceset surtout un coût. On ne peut exiger des clubs des résultats et se contenterde dire « vous n’avez aucun résultat»! C’est inacceptable ! Cesdonneurs de leçons – loin des réalités des stades – exigent mais ne donne rienpour avoir des résultats, bien au contraire s’enferment habillement dans deslogiques de dénigrement.

-      dedonner des garanties aux clubs qui alimentent les pôles. Ces regroupementspermanents d’athlètes souvent arbitraires ont tendance à freiner les politiquessportives des clubs structurés. Les réussites groupes d’entrainements desjamaïcains voire des coaches américains attestent que cette idée rigide despôles est à revisiter.

-       De définir les garanties claires sur la scolarité,les bourses sportives, le parcours universitaire et l’emploi des athlètes. Tantque les garanties restent floues privilégier la poursuite d’une politiqueéducative s’impose avant toute recherche du haut niveau pour le haut niveau. Enformant des meilleurs athlètes nous continuerons à former des meilleurs hommes sanstromper notre jeunesse.

-      Gérerles suivis médicaux de tous les sportifs. Car si une structure médico-sportiveest prévue pour une catégorie d’athlète, les clubs ont et auront à gérer cettepartie en s’appuyant souvent sur des médecins, kinésithérapeutes, psychologuesbénévoles dévoués qui ont un fort manque à gagner.

 

Une nécessaire réflexionglobale insérée dans la société guadeloupéenne.

Ungrand nombre de jeunes talents guadeloupéens, le bac plus en poche, viennentjuste de partir. Les propositions de ce plan aurait du les retenir. Les chosesse compliquent tant la réalité des tâches est complexe et nécessite uneréflexion globale. La place de l’athlétisme dans l’espace des sports le champscolaire et universitaire est fortement concurrencée par l’importation denouvelles pratiques et de nouvelles valeurs d’hédonisme.

Lesconditions économiques politiques et sociales ne sont guère présentées alorsqu’elles sont déterminantes au dépend d’une prétendue supériorité noire. L’athlétismeguadeloupéen s’insère dans une société guadeloupéenne multi-culturelle où tous lesindicateurs sont au rouge. Tout d’abord la lourde dette publique les 130 milliards d'euros dudéficit de l’Etat en 2009 limite à terme son engagement. La suppression de lataxe professionnelle en 2010 pose la question du financement des collectivitéslocales, les principaux financiers du sport guadeloupéen. A cela, s’ajoute des incertitudespolitiques. La Guadeloupela Martinique et la Guyane se questionnent fortement sur leur avenir et leursaccès aux responsabilités (les débats pour plus d’autonomie autour des articles73 et 74). La crise sociale ne s’est pas arrêtée après les 44 jours de grève etles Etats Généraux bien au contraire les tensions persistent. La Guadeloupeprésente en 2007 (Insee) un taux de chômage élevé avec 22,7% de la population activeguadeloupéenne alors que le taux de chômage était de 8,1% en France. Le taux dechômage des jeunes Guadeloupéens de moins de 25 ans (donc en âge de faire dusport) était de 55,3% en 2007, contre 22,2% en France métropolitaine. Aupremier trimestre 2008, la Guadeloupe comptait 44.850 demandeurs d'emploisinscrits, mais seulement 16.763 étaient indemnisés à la fin avril. A la mêmepériode, l'Insee recensait 35.751 bénéficiaires du RMI (Revenu minimumd'insertion), soit un taux d'environ 8%. Sur l'ensemble de la France, ce tauxest d'environ 2%. Le revenu de solidarité active (RSA) n’est pas appliqué. Letaux de pauvreté des ménages est deux fois plus élevé en Guadeloupe (12,5%)qu'en France (6,1%) (Insee. 2005)

Le Produit IntérieurBrut Régional (PIBR) de la Guadeloupe s'élève à 4801 millions d'euros, il estégal à celui des départements de l'Aveyron et du Jura. Le PIBR représente 11 602euros par habitants, la Guadeloupe se situe ainsi parmi les 4 îles les plusriches de la Caraïbe avec les Bahamas, la Martinique et Puerto Rico. Cetterichesse est inversement proportionnelle à nos résultats sportifs maisinfluencent les futures relations avec nos voisins. Au niveau européen, avec unPIB s'élevant à 55,8% de la moyenne communautaire, la Guadeloupe appartient augroupe des 13 régions les plus pauvres d'Europe.

Les promesses n’engagentque ceux qui les écoutent.

Lafédération française nous a invités à une belle table. Elle a mis les couvertset servi un menu exotique. A la fin du repas, ce sont les Guadeloupéens qui devrontpayer la lourde addition et répondre de leurs responsabilités. Nous restonsconvaincus du réel pragmatisme des plans de développement fédérateurs descompétences locales et des possibilités de nos talents car nous n’avons jamaisquitté les terrains. C’est la raison pour laquelle aider Marie José Pérec dansson action en retour sur sa Région est nécessaire. Face à cette prise deposition d’une nouvelle génération de sportifs qui veulent mettre leurexpérience au service redonner à leur communauté on est en droit del’accueillir, mettre nos compétences et surtout nos propositions pour l’aiderdans la réussite de nos sportifs.

 

Harry P. Mephon Sociologue, Entraineurd’athlétisme.

Auteurde Corps et Société en Guadeloupe.Sociologie des pratiques de compétitions Presses Universitaires de Rennes2007.