HYPOCRISIE DE LA FRANCE LORS DU DECES D’AIME CESAIRE

 

Ave Césaire! 

 

Il aurait sûrement bien ri, Aimé Césaire, lui qui cultivait en privé, une ironie aussi courtoise que cruelle, en voyant tous ces politiques, tous ces journalistes, se précipiter à Fort-de-France pour célébrer son embaumement.

 Oubliée, la polémique sur les bienfaits de la colonisation où s’illustrèrent Nicolas Sarkozy et les députés UMP. Oubliées, ces années où le maire de Fort-de-France se heurtait à l’hostilité des préfets envoyés aux Antilles par le Général et «son» Jacques Foccart pour l’abattre. Oublié, ce président, Valérie Giscard d’Estaing qui se refusa à venir le saluer dans sa mairie. Oubliés, ces hémicycles désertés où le député de la Martinique, communiste puis apparenté socialiste après sa rupture avec le parti de Maurice Thorez  en 1956, défendait l’égalité sociale

 

 

 

 

 

 

Hexagone-départements
d’outre-mer face à l’intransigeance des gouvernements gaulliste,
pompidolien, giscardien et chiraquien. Oubliée, cette radio-télévision
d’Etat où pendant près de vingt ans prononcer son nom était
pratiquement interdit. Oublié, le créateur de la revue «Tropiques» qui
en 1942, dénonçait cette Eglise catholique plus empressée à bénir le
«Travail, Famille, Patrie» du Maréchal que «l’ami des Noirs», l’abbé
Grégoire.
  

Faut-il
rappeler qu’il y a onze ans à peine son «Discours sur le colonialisme»,
déjà censuré lors de sa publication sous la IVè République, fut retiré
du programme national des classes Terminales? Une décision prise par un
ministre de l’Education nommé François Bayrou. Le même Bayrou qui, sans
doute en guise de rédemption, est allé se recueillir, dimanche dernier,
devant le cercueil d’Aimé Césaire, au stade Pierre-Aliker.
  

Car
il a fallu attendre l’élection de son ami François Mitterrand pour que
l’autonomie, réclamée depuis les années les années 60 par le PPM (Parti
populaire martiniquais), soit enfin partiellement accordée aux
départements d’outre-mer malgré les manœuvres du Conseil
Constitutionnel, présidé par le chiraquien Roger Frey. Comme il a fallu
attendre 1986 pour que les citoyens des départements d’outre-mer
bénéficient des mêmes avantages sociaux que les métropolitains.

Quant
à l’œuvre poétique et théâtrale d’Aimé Césaire, aujourd’hui tant
célébrée, elle a été longtemps négligée.

La Comédie-Française n’a
inscrit à son répertoire sa «Tragédie du roi Christophe» qu’en 1991.
Pour le 78è anniversaire de Césaire! Son «Cahier d’un retour au pays
natal», poème manifeste de la négritude, édité en 1939, n’a été publié
en poche  que près de trente ans plus tard! Et les premiers centres
césairiennes ont été créés en Afrique, au Canada, en Allemagne ou aux
Etats-Unis. Mais pas dans les universités françaises.
   Rebelle
à toute vanité, Aimé Césaire n’en avait cure. Lors de l’un de ces
derniers entretiens télévisés, alors qu’il était interrogé sur les
critiques qu’il avait suscitées tant à droite qu’à l’extrême gauche, il
avait répondu avec son sourire malicieux: «Le nègre les emmerde».
  

Une belle épitaphe!

 

Nicolas Brimo, «Le Canard enchaîné» N° 4565 du 23 avril 2008