KILTI A ZENDIEN

sari2007.jpgDIS-MOI TON NOM, JE TE DIRAI D'OU TU VIENS
Derrière chaque nom indien ou “malbar” de la Réunion se cache un métier, une caste, une région ou un “Bon Dié”. Jean-Régis Ramsamy, journaliste et écrivain, a suivi leur évolution depuis l’arrivée des premiers engagés dans l’île. Il nous emmène dans “La galaxie des noms malbars” où le temps, les circonstances ont parfois altéré et souvent déformé des patronymes.
Résultat : les arbres généalogiques se construisent difficilement dans les familles d’origine indienne…
 Minatchy, Paleressompoullé, Ramassamy, Govindin, Latchimy : des noms indiens loin des patronymes d’origine européenne tels que Rivière ou Payet. Ils se développent pourtant naturellement dans notre île et se métissent au fil des ans.
« La grande majorité des Réunionnais d’origine indienne portent un nom tamoul », affirme le journaliste et écrivain Jean-Régis Ramsamy-Nadarassin. Rien d’extraordinaire à cette situation : la plupart des engagés venaient du sud de l’Inde (ports de Karikal, Madras, Yanaon).

 Un nom d’objet, souvent avilissant
 Dans le cadre de ses recherches qui ont abouti à son ouvrage intitulé “La galaxie des noms malbars”, il s’est penché sur l’étude de Sudel Fuma, « La mémoire du Nom » ou « le nom, image de l’homme » qui traite de l’histoire des noms Réunionnais, d’hier à aujourd’hui à partir des registres d’affranchis de 1848, (Tome 1 & 2. Université de La Réunion). L’historien avait pu alors comprendre le mécanisme de dénomination des affranchis de 1848 mais pour les” Indiens Malbar”, surtout confrontés à l’engagisme, tout était à faire. Une tâche ardue au regard de la dispersion des documents et de la faiblesse des sources imprimées. Jean-Régis Ramsamy s’est alors lancé dans un tri de documents des Archives Départementales et de lieux divers (cimetières, mairies, prisons, archives de l’Evéché...) afin d’établir un corpus d’un millier de noms. Il a ensuite réalisé quelques entretiens. Puis, il a reconstitué le long cheminement des noms entre l’Inde et la Réunion sur plus de soixante-quinze ans. Il déplore au passage la faiblesse des fonds sur l’immigration indienne aux Archives Départementales de la Réunion.

 L’orthographe des patronymes a été modifiée
 On estime à 10 000, voire 20 000 le nombre d’Indiens esclaves vivant à la Réunion à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle. Ils portaient le nom que leur maître voulait bien leur donner (parfois, un nom d’objet, souvent avilissant).

En fait, l’esclave était un bien meuble et ne pouvait prétendre à un vrai nom. Ainsi, les dénommés Alençon Cipaille, Julian Camalan (de la caste des Camalar ?), Caroline India, Anna-Rosette Malbarin, Augustin Rama présentent des profils de l’Indien esclave.

 Plus tard, l’engagé avait droit à un matricule comme en témoignent les registres consultés par l’auteur. Le journaliste s’est rendu compte d’emblée que des patronymes ont été réduits en raison de leur longueur. « L’altération du nom serait survenue à l’enregistrement des données d’état civil des premiers engagés dans l’île au milieu du 19e siècle. Certains ne parvenaient pas à restituer facilement leurs noms aux fonctionnaires de la colonie », rappelle Jean-Régis Ramsamy. Les anciens continuent toujours d’ailleurs d’évoquer, non sans agacement, les distorsions subies par leurs noms lors de l’enregistrement administratif. Il n’est pas exclu qu’ils étaient contraints de les changer...

 Pas étonnant donc que des familles “malbar” aient beaucoup de mal à concevoir leur arbre généalogique. Pire : dans certains cas, l’orthographe des patronymes a été modifiée. Certains esclaves étaient même affublés du nom d’un pays d’origine : Marie Vinquebar, Antoine Madrax, Marie Bengale... De même, beaucoup de descendants d’engagés portent le nom de leurs aïeuls, de leurs grand-mères notamment. Par ailleurs, des prénoms ont été utilisés à la place des noms. Dans le cadre de ses recherches, le journaliste s’est rendu compte également que les personnes qui possèdent des noms malbars similaires n’ont pas nécessairement des ancêtres communs, proches ou lointains... « Tous les Kichenin ne sont pas issus d’un parent commun », dit-il.

 Des patronymes en lien avec les divinités
Se penchant sur les suffixes malbar, il remarque que le suffixe « Samy », d’origine tamoule, est le plus couramment cité (Virassamy, Mounoussamy, Ayassamy Annasamy, Ramassamy...). Autre suffixe d’origine tamoule : “Poullé” (Parimanompoullé, Amourga- tapillé, Moutoupoullé, Moutéyapoullé, Souprayapoullé…) On le retrouve chez des grandes familles (Virapoullé, Catapoullé) ou encore chez des présidents de temples (Adrien Minienpoullé à Saint-Denis, M.Jaganardinpoullé, à la Rivière des Galets), et même chez des immigrants en provenance de l’île Maurice.
Les suffixes « Ama », « Retty », « Moulou » ou « Gadou » appartiennent à la langue Télégoue, dont : Vingatama, Palaniama, Papama, Incana, Angama, Soupaya...

 Les patronymes des engagés peuvent être aussi en lien avec des divinités (Govindin, Minatchy, Kichenin, Rama, Permal, Sevagamy, Latchoumy, Ramin, Narayanin, Darmalingom, Armougom, Tiroumalé…), avec des castes (Naidou, Singh, Padeatchy, Poullé, Mestry, Retty, Modely, Chetty…), des qualificatifs (Sinan=petit, Périanin = grand-frère, Caroupana = frère noir, Siny = sucre, Viran ou Vira = le fort). Aujourd’hui, on remarque encore que des Réunionnais d’origine indienne possèdent un nom composé : patronyme + le prénom d’un aïeul réunionnais. Exemples de ces noms à particule : Bruno Mamindy-Pajany, le maire de Sainte-Rose, Gilbert Moutien-Canabady, Claude Moutouallaguin-Allagapal, feu Philippe Ponin-Ballom. D’autres engagés ont laissé aussi bien leurs noms que leurs prénoms à leurs descendants : Barcatoula Ramjane, Canjamalé Palanipandarom, Baba Latchimy, Sornom Ali, Ponapin Egambareddy, Couteyen Carpaye, Souprayenmestry, Rangapamodely Moutou, Latchimy, Sadeyen Velleyen, Ringuin Velleyen.

Jean-Régis Ramsamy le reconnaît lui-même : d’autres réflexions méritent d’être menées… Si « Bondié i ve », il fera un dictionnaire des noms de famille indiens ! Un jour...

 Textes : Juliane Ponin-Ballom

 EN SAVOIR PLUS :

 1- Une association de généalogie Frédéric Souprayenmestry, un chef d’entreprise saint-andréen, a créé l’Association de généalogie des descendants d’engagés indiens de La Réunion (AGDEIR) afin d’aider les familles dans leurs recherches de patronymes indiens. Frédéric Souprayenmestry s’est plongé lui aussi dans son histoire familiale en vue de reconstituer l’arbre des descendants de son arrière-grand-père, arrivé dans l’île vers 1880 : Rangapamodély Souprayenmestry dit “L’Indien”. L’ouvrage (un livre gros de 800 pages en format A3 avec plus de 600 photos) est en cours de finition.

 Contact : AGDEIR. Tél/fax : 02 62 46 75 12. Email : frederic-soupra@wanadoo.fr

 2- L’ODI, une banque de données Présidée par Jean-Régis Ramsamy, l’Organisation pour les initiatives de la diaspora (ODI) est une association de loi 1901 qui a été créée à la Réunion en septembre 2007. Son rôle : organiser les recherches entre l’Inde et la Réunion sur le plan culturel ou de la recherche. Elle a ainsi aidé un étudiant réunionnais à trouver un lieu de stage en Inde et soutient un artiste de Chennai.

 L’ODI est née en Inde. Elle existe également en Afrique du Sud. “La voiture à 100 000 roupies, l’ordinateur à 1 euro : l’Inde explose”, fait remarquer Jean-Régis Ramsamy. “L’idée est de ne pas se renfermer… L’idée, c’est un rapprochement, la mise en valeur de la diaspora et de la culture indienne dans le respect des instructions de la République française et de la pluriculturalité réunionnaise”.

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  Ce permis de séjour gratuit délivré en 1892 fait office de carte d’identité (collection personnelle de Jean-Régis Ramsamy)

 
 
 
 
 
 
-HISTOIRE : Des études sur “la malbarité”

A la Réunion, une association étudie “la malbarité” : c’est le GERM. Le Groupe d’études et de recherches sur la malbarité est présidé par Sully Santa Govindin, enseignant et auteur de plusieurs travaux remarquables. Il travaille depuis de longues années sur ce concept. “Malbarité, c’est ce qui est spécifique aux migrants qui ont dû s’adapter et conjuguer un héritage culturel et les évolutions nécessaires imposées par la société d’accueil”, explique Sully Santa Govindin.

C’est, selon lui, “un vécu, un concept “ afin de marquer “la nécessité de respecter les Réunionnais qui sont issus d’une culture ancestrale, villageoise et rurale et qui évoluent aujourd’hui au sein de la société réunionnaise”. Mais, dit-il encore, “ la malbarité se caractérise surtout par un processus évolutif, par une dynamique d’intégration au sein de l’espace réunionnais, et du coup constitue un facteur d’unité, de cohésion et de stabilité pour la société globale”.

Le GERM a pour objectif essentiel de mener des réflexions et des recherches d’ordre intellectuel concernant les engagés indiens et leurs descendans métissés ou pas, désignés à travers les termes de (z)indien, tamoul, malbar, cooli, voire malbarkaf et évoluant au sein de la diaspora. Cette association vise une meilleure connaissance et compréhension des sociétés pluriculturelles des espaces insulaires. Son champ d’investigation s’exerce tant dans le domaine des Arts (musique, chorégraphie, iconographie, artisanat) que des sciences humaines (lettres, histoire et ethnologie). Contact : GERM - Tél : 0262 266 215.

Site : http://monsite.wanadoo.fr/germ
Email : govindin.sully@wanadoo.fr

SOURCE: Jean Sahai &
Clicanoo.com