LA MÈRE ENCEINTE PEUT-ELLE PRIVER LE PÈRE DE VIVRE PRÈS DE SON FUTUR BÉBÉ ?

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Une femme enceinte a-t-elle le droit de faire sa vie loin du père ?


L’enfant à naître a-t-il déjà droit à ses deux parents ? La mère enceinte peut-elle priver le père de vivre près de son futur bébé ? Entre New York et la Californie, deux Américains célèbres ont commencé à se disputer un nourrisson avant sa naissance. Les juges marchent sur des œufs.

L’affaire n’est pas un simple fait divers, même si ses protagonistes sont glamours à souhait. La bataille juridique aura des conséquences générales sur le statut de la femme enceinte, du fœtus, et des pères, par extension sur le droit à l’avortement dans un pays constamment à cran sur le sujet.


Lui, c’est Bode Miller, 36 ans, champion de ski multimédaillé au style non conventionnel, beau gosse, riche évidemment, et néanmoins inquiet de ne pas trouver épouse à son gré. Au printemps 2012, il s’inscrit sur le très sélect site de rencontres Kelleher International.

Elle, c’est Sara McKenna, 27 ans, enrôlée dans les Marines à l’âge de 17 ans, blonde somptueuse également décidée à convoler en justes noces.

« Tu as fait ce choix contre ma volonté »

En avril 2012, les deux se rencontrent à San Diego, en Californie, où Bode possède un yacht. Sara exerce comme pompier à Camp Pendleton, la base locale des Marines. Ils « datent », comme on dit en américain. Elle tombe enceinte au bout d’un mois et demi.

Apparemment, les choses se gâtent vite entre eux. Sara montre des textos qu’ils ont échangé en juin lorsqu’elle a demandé à Miller de l’accompagner à une échographie et qu’il a refusé. Sa réponse :

« Tu as fait ce choix contre ma volonté. »

Selon Miller, Sara se venge en inondant les réseaux sociaux de commentaires désagréables à son égard. Evidemment, l’histoire d’amour est terminée. Entre temps, Bode Miller a trouvé une nouvelle fiancée – tout aussi belle – qu’il épouse en octobre 2012.

« Conduite injustifiable »

Sara McKenna décide qu’elle ne pourra plus être pompier militaire. Son ancienneté dans l’armée lui permet de bénéficier d’une formation universitaire gratuite. Elle s’inscrit à Columbia University, à New York, et prévient Miller qu’elle déménage à l’autre bout du continent.

Pas content mais prévoyant, le futur père assure sa position : il reconnaît l’enfant à l’avance auprès des autorités californiennes – sous le prénom de Nathaniel, et déclare qu’il est prêt à en assurer la garde.

Dès qu’elle a accouché, Sara McKenna s’adresse au tribunal familial de New York pour réclamer elle aussi la garde du bébé – prénommé par elle Samuel. Et là, surprise, la cour la lui refuse, arguant d’une « conduite injustifiable ».

Pire : la cour estime que c’est à la justice californienne de traiter l’affaire, puisque, manifestement, Sara « a fui » cet Etat avec son fœtus :

« Bien que Mme McKenna n’ait pas maltraité l’enfant, le fait qu’elle l’ait accaparé alors qu’il était in utero était irresponsable et répréhensible. »

« Les droits de Mme McKenna ont été violés »

Illico, le tribunal de San Diego accorde la garde à Bode Miller. Le 4 septembre, accompagné de son épouse, celui-ci sonne à la porte de son ex à New York, prend le bébé, et repart en Californie.

Les journaux people se sont longuement étendus sur cette terrible bataille, crachant force détails croustillants et photos même pas volées, complaisamment consenties par les parties sûres de leur bon droit et de leur photogénie.

Le New York Times, qui reprend toute l’affaire dans son édition du week-end, précise que la maman aura « le droit » d’avoir son bébé pour le week-end de Thanksgiving.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car Sara, épaulée par des associations de défense du droit des femmes, a bien sûr fait appel à la première décision du tribunal familial de New York, qui renvoyait son cas devant les juges californiens. Et donc, le 14 novembre, la cour d’appel lui a donné raison :

« Les droits de Mme McKenna ont été violés. Les père putatifs n’ont ni le droit, ni la capacité de restreindre les droits constitutionnels d’une femme enceinte lui garantissant sa liberté (de mouvement). »

Au passage, la cour d’appel estime que l’affaire reste de la juridiction new-yorkaise. Il est probable que cette dernière décision va générer un conflit territorial entre la Californie et l’Etat de New York, de même nature que ceux opposant des parents de nationalités différentes.

Refuser aux femmes enceintes le droit de vivre libres

Le New York Times explique pourquoi il s’intéresse à son tour à cette histoire :

« Cette affaire impliquant des célébrités est atypique, elle n’est pas centrée sur des extravagantes demandes financières, ou sur une querelle de paternité. Les deux parties clament leur désir d’une “coparentalité”. »

Quelle que soit l’issue pratique du conflit – qui aura la garde du petit, et dans quel Etat –, la décision finale des juges fait trembler les associations des droits des femmes, comme l’explique cette juriste au NY Times :

« Tout particulièrement maintenant, alors que les pressions politiques se multiplient pour reconnaître des droits légaux séparés aux fœtus, on craint que les tribunaux ne dénient aux femmes enceintes le droit de déménager. On refuserait aux femmes le droit de vivre leur vie parce qu’elles sont enceintes. »

Aujourd’hui, le bébé Samuel (ou Nathaniel) a 9 mois. Il vit depuis septembre en Californie chez son père, lequel est en train de s’entraîner pour les Jeux olympiques. Ses fans s’inquiètent pour sa concentration sportive.