L'après 4 novembre 2008

patrick2.jpgDes Antillais à l'Elysée

 

Au lendemain de l'élection de Barack Obama, une délégation d'Antillais a été reçue par Nicolas Sarkozy. Nous vous transmettons, in extenso, la déclaration que cette délégation a fait parvenir à notre rédaction.

 

Photo Copyright P.KARAM 

 

DÉCLARATION DE  LA DÉLÉGATION ANTILLAISE RECUE LE 13 NOVEMBRE

PAR LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

13 Novembre 2008

 

UNE IDENTITÉ RÉPUBLICAINE PLURIELLE, MAIS NONRACIALISÉE

Aux difficultés liées aux discriminations et au racisme existant dans la société française, il

semble émerger comme solution une conception racialisée de notre société.

Aujourd’hui, il est

fait état de la couleurde la peau des citoyens de ce pays dans la presse sans que cela ne choque

grand monde.

Nous sommes stupéfaits de constater la banalisation de la caractérisation des

populations d’origine africaine et antillaise selon une supposée couleur noire de la peau.

On

parle aujourd'hui de Préfet noir, de ministre noir. Subrepticement, cette conception raciale de la

société s’infiltre dans les lieux d’influence et semble même atteindre les plus hauts sommets

de l’État.

En particulier, nous sommes scandalisés qu’une organisation qui se  présente comme

rassemblant des Français noirs puisse avoir pignon sur rue dans les médias et soit reçue dans

les plus hauts lieux de la République.

Nous affirmons que si la discrimination liée à la couleur de la peau persiste en France, c’est que les

dispositions antiracistes ne sont pas assez efficaces et qu’il faut les renforcer, en particulier bien

comprendre que le racisme antinègre en France est le fruit de toute une histoire.

Mais, la

banalisation de la racialisation du langage dans notre société risque d’augmenter les clivages

au sein de la République et d’accélérer, quoiqu’on s’en défende, le risque d’un

communautarisme noir avec toutes les conséquences que cela générera.

Ce n’est pas

l’accession à des postes de responsabilité d’une élite d’origine africaine ou antillaise, même si cela est

indispensable, qui évitera les révoltes et la marginalisation des jeunes français originaires d’Afrique.

Bien au contraire, cette banalisation du langage « racial » renforcera chez ces jeunes, la légitimité

d’une identité basée sur la couleur de la peau chargée de ressentiment envers la République.

N’entendons-nous pas ces jeunes adopter une pseudo identité de descendants d’esclaves, identité

chargée de ressentiments?

Nous sommes par ailleurs surpris des conceptions profondément conservatrices d’intellectuels sur la

question des identitésmultiples de la France.

C’est ce qu’illustre par exemple le récent rapport Kaspi

dont les propositions - 3 commémorations nationales - tendent à vouloir brider l’épanouissement

et le développement desidentités différentes existant dans le peuple de France au détriment d’une

identité qui se voudrait unique. 

Il semble donc se dégager une conception de la France acceptant la catégorisation de sa

population selon de la couleur de la peau, mais qui refuserait son identité multiple.

Pour ce

qui nous concerne, ressortissants des DOM vivant en métropole, nous qui savons ce que signifie (par

notre histoire) le désastre sociétal d’une racialisation de la société, nous qui nous battons pour la

reconnaissance de nosidentités spécifiques, nous sommes très inquiets de l’évolution actuelle de la

société française.

Cette évolution ne permettra pas d’accélérer la nécessaire insertion des Antillais,

Guyanais  et Réunionnais vivant en France hexagonale. Nous trouvons inacceptable la désignation

des Antillais comme Noirs de France.

Nous tenons à dire au Président de la République que nous

refusons cette désignation et nous ne nous reconnaissons pas dans une France racialisée.

Nous sommes au contraire convaincus que la République doit accepter la mémoire et l’identité

multiple du peuple de France comme outil d’intégration. Il faut, au contraire de ce qui est

proposé, faire cohabiter,pour mieux les pacifier, les mémoires et les identités de façon à pouvoir

intégrer au sein de laRépublique ceux qui les portent, et ce, surtout lorsqu’elles sont douloureuses.

C’est, nous semble-t-il,le chemin qu’a ouvert le Président de la République en officialisant le 23 mai

comme journée en mémoire des victimes de l’esclavage.

S’il faut, pour favoriser l’intégration,

renforcer le dispositif antiraciste et assurer la visibilité de la diversité, il est tout aussi important de permettre la mise en place de dispositifs spécifiques liés aux particularités sociohistoriques des

différents groupes quiconstituent aujourd’hui le peuple de France.

Il y a des dispositifs que l’État ne

peut être le seul à assumer. Il a besoin de médiateurs se trouvant dans les différents groupes pour

assurer le succès de ces dispositifs.

 

POUR UNE MEILLEURE INSERTION DES ORIGINAIRES DES DOM AU SEIN DE LA

RÉPUBLIQUE

Très concrètement pour ce qui concerne le monde antillais guyanais et réunionnais vivant en France

hexagonale, ce n’est pas la prise en considération de la couleur de peau des populations originaires

d'outre-mer qui permettra une meilleure intégration de cette population au sein de la République,

mais la prise en considération des difficultés liées à leur construction sociohistorique et aux rapports

qui ont existé ou qui existent encore avec la Nation.

Un certain nombre d’exemples serviront à

illustrer nospropos. 

L’AIDE AUX FAMILLES MATRIFOCALES : LA CREATION DU CENTRE D’AIDE AUX FAMILLES MATRIFOCALES ETMONOPARENTALES

La première grande difficulté qui freine l’accession des Antillais à une citoyenneté pleine et entière

tient à l’existence de dysfonctionnements familiaux liés à la matrifocalité antillaise.

Fondée dans et

du fait de l’esclavage colonial, la matrifocalité antillaise se caractérise par la place centrale qu'occupe

la mère au sein du foyer, par l’absence d’un époux ou d’un concubin stable, aux difficultés des

hommes à être des pères (même dans des situations de foyers nucléaires).

Dans les pays d’origine, la

mère, chef de famille, assume l’éducation des enfants avec l’aide de leur grand-mère, de leurs tantes

et oncles, ou tout membre de sa famille resté proche. En France hexagonale, ce système est mis à

mal par l’absence de la famille proche.

De ce fait, les familles antillaises sont aujourd’hui en grande

difficulté. En particulier il y a usure des mères antillaises et risque d’échec scolaire des jeunes et de

l’ascenseur social. Absents des émeutes des banlieues en décembre 2005, nous ne souhaitons pas

voir nos jeunes grossir les rangs de ceux qui entrent en guerre contre la République.

Après 10 ans de travail sur la matrifocalité antillaise (plusieurs centaines de groupes de paroles),

nous sommes aujourd’hui en mesure de créer le premier Centre d’Aide au FAmilles

Matrifocales etMonoparentales (CAFAM). Ce centre sera le lieu de la prise en charge des

difficultés des familles originaires des DOM.

Il aura comme mission d‘éviter la marginalisation de la

jeunesse d’origine antillaise, guyanaise et réunionnaise. 

Promouvoir un tel centre signifierait que le gouvernement prend la mesure des dysfonctionnements

familiaux hérités de l’esclavage. Ce qui n’a pas pu être réalisé en 1848 pourra l’être en 2008. 

LE RESPECT DE L’IDENTITEDES ORIGINAIRES D’OUTRE-MER

L’insertion de la mémoiredes descendants d’esclaves au sein de la république

Une partie importante despopulations d’outre-mer a une identité liée à leur fabrication dans

l’esclavage colonial.

Ces populations tiennent à ce que la République honore la mémoire de leurs

parents qui ont été desvictimes de ce crime contre l’Humanité.

Elles tiennent à dire que leur

insertion complète nepourra se réaliser que si la République accepte leur mémoire spécifique et  leur

identité. C'est pourquoi nous nous sommes réjouis de la décision du Président de la République de

faire du 23 mai, la dateà laquelle les Français descendants d’esclaves honorent leurs aïeux.

Compte

tenu des récentes prisesdéclarations sur les lois mémorielles et parce que le 23 mai ne dépend que

d’une circulaire, nous souhaitons que cette date soit sécurisée.

En particulier, nous souhaitons

que l’État participe enpartie de la cérémonie principale du 23 mai qui se déroule à Paris et que le délégué interministériel ainsi que le ministre des DOM-TOM y soient présents.

Nous y verrons un

signe de respect pour nosaïeux. 

Les autres questions liées à la préservation de la culture.

Nous savons que le délégué inter ministériel, Patrick KARAM, est extrêmement attentif aux

questions concernant le développement de la pratique de la langue créole à l’école et à la facilitation

des séjours des originaires d’outre-mer dans leur pays d’origine. Il est très important que ces

initiatives puissent aboutir. 

 

LA QUESTION DE LEURREPRESENTATION DANS LES PARTIS POLITIQUES ET DANS LES MEDIAS

a) Dans les partis politiques : de nombreux exemples existent qui montrent les barrières

existantes dans les partis politiques qui bloquent la promotion d’originaires d’outre-mer

ayant du talent à des postes de responsabilités dans les partis politiques.

Ces discriminations

sont inadmissibles. Nous ne défendons pas l’existence de quotas dans les partis politiques.

Nous défendons le principe d’égalité qui dit

« qu’à compétence égale, les chances doivent

être égales ». Mais nous tenons à faire remarquer que de façon générale, la population

originaire d’outre-mer a une participation faible à la vie citoyenne, que ce soit par sa

participation au vote lors des élections municipales ou autres que ce soit dans les syndicats

ou dans les associations de parents d’élèves.

Ceci illustre une fois de plus les difficultés

citoyennes de nos compatriotes qui ne sauraient être réglées sans la prise en charge des

problèmes ci-dessus évoqués. 

 

b) Dans les médias et en particulier dans France O. France O est le symbole de la visibilité

de l’outre-mer. N’y a-t-il personne en outre-mer qui puisse être le patron de cette

structure ? Il y a un profond sentiment d’injustice qui remonte des originaires d’outre-mer

travaillants dans cettestation. De nombreux professionnels ont fait leur preuve et ne sont

pas aux commandes.

Comment comprendre qu’un professionnel comme M. Luc Laventure,

martiniquais, chef d’antennes de France Ô depuis de nombreuses années ne soit pas aux

commandes de cette station. Nous sommes nombreux à être surpris que des journalistes de

talents tels Alex URI, Guadeloupéen d’origine, ou Sulliman BANIAN, Réunionnais d’origine,

ne puissent accéder à des postes de directeur de l’information et de rédacteur en chef.

 

LA PERENNISATION DE LADELEGATION A L’EGALITE DES CHANCES DES ORIGINAIRES

DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER

La création, après l’élection présidentielle, de la délégation interministérielle à l’égalité des

chances des Français d’outre-mer est considérée par nos concitoyens originaires de l’outre-mer

comme la reconnaissance de l’existence du monde originaire des DOM dans l’hexagone.

Depuis sa création, lesassociations des originaires des DOM ont apprécié l’important travail effectué par le délégué, Patrick KARAM.

Nous souhaitons que cette délégation perdure et que ses moyens soient renforcés en particulier qu’elle puisse veiller à la promotion des originaires d’outre-mer selon leur compétence dans les administrations publiques. Cette délégation a effectué un travail remarquable sur les questions relatives à la mémoire, à la formation des associations des originaires d’outre-mer,

sur l’enseignement ducréole.

Je tiens en tant que médecin à l’encourager dans le travail fait sur la

prise en charge de ladrépanocytose dont un nombre important de malades sont originaires de

l’outre-mer et dont les conditions de  prise en charge sont scandaleuses (il y a environ près de 10.000

malades contre 5.000 pourla mucoviscidose).

 

En conclusion, il nous semble urgent que le Président de la République donne à la Nation sa vision de

la lutte contre le racisme et les solutions qu’il souhaite prendre pour y remédier.

En particulier, nous

souhaitons qu’il exprime sa vision sur l’identité française, la question de sa racialisation ainsi que sur

la question desdifférentes identités qui composent aujourd’hui notre pays.

En particulier, nous

proposons qu’il crée un Conseil Supérieur de la Diversité qui aurait pour objet d’élaborer et de

suivre la mise en œuvre d’une politique française de la diversité visant à faire toute leur place aux

différentes composantes de la population française qui, à un titre ou un autre, sont aujourd’hui

marginalisées.

 

Monsieur Serge ROMANA, Président du CM98

Monsieur Pierre PLUTON, Président de l’AMEDOM

Monsieur Daniel DALIN, Président du Collectif DOM

Maître Jean-Claude BEAUJOUR

Madame Jacqueline PAVILLA 

Monsieur René SILO

 

 

Contact : Laurence Mauray– Chargée de  communication du CM98

Tel : 06 14 88 80 38 - E-mail :communication@cm98.org