LIVRE : NELSON MANDELA "CONVERSATION AVEC MOI-MÊME" - PREFACE BARACK OBAMA

Nelson Mandela se livre en lettres 

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Lettres écrites en prison, notes griffonnées au fil des jours, bribes de conversations: dans un ouvrage en vente depuis le 11 octobre, Nelson Mandela se livre, intime, dévoilant ses enthousiasmes, ses hésitations, l'immense douleur que fut l'incarcération loin des siens

 


Textes rédigés il y a de nombreuses années par "Madiba" - aujourd'hui âgé de 92 ans et très affaibli - ces Conversations avec moi-même (1) donnent du grain et de la texture à l'image de cette figure centrale du XXe siècle, devenue icône mondiale de la réconciliation.


Préfacé par Barack Obama qui salue une vie "aux antipodes du cynisme et du fatalisme qui affligent si souvent notre monde", le livre sort mardi 12 octobre dans de nombreux pays, jeudi 14 octobre en France.


Son amour fou pour Winnie (sa deuxième épouse), le foisonnement des années 50 à Johannesburg, les trois décennies derrière les barreaux, les années de transition et, de 1994 à 1999, celles à la tête d'un pays sortant d'un demi-siècle d'apartheid : le livre balaie les différents moments de sa vie.


Curiosité du monde et soif de rencontre 

Cet ensemble de lettres, carnets intimes, entretiens - sélectionnés par d'autres que lui mais non retouchés - offre un éclairage étonnant sur l'une des périodes moins connues : celle qui précède ses vingt-sept années d'incarcération (1962-1989).


Devenu l'un des personnages centraux du Congrès national africain (ANC), Mandela a alors une vie sociale dense et riche, se lie d'amitié avec nombre d'activistes anti-apartheid blancs, à l'image de Ruth First, - "une fille fantastique" - qui fut tuée en 1982 au Mozambique par un colis piégé.


L'évocation de son voyage à Londres en 1962, - "c'était très excitant de se retrouver en Angleterre, dans la capitale de ce qui fut autrefois le puissant Empire britannique", donne une idée de la curiosité du monde et de la soif de rencontre qui l'anime.


Sa passion pour Winnie Madikizela, "courageuse et déterminée, qui aime son peuple de tout son coeur", avec qui il se marie en 1958 (il sera envoyé en prison quatre ans plus tard), traverse le livre.


En décembre 1979, dans une lettre à sa fille, Zindzi, qui sera confisquée, il écrit : "Maman était superbe à l'époque, elle rayonnait (...) Pendant plus de deux ans, elle et moi avons vécu une lune de miel au vrai sens de terme".


Les courriers évoquant la douleur de ne plus la voir - et de savoir qu'elle est harcelée par les forces du régime ségrégationniste - sont tout aussi intenses.


Lettre à Winnie 

"Quel épouvantable moment nous vivons!", écrit-il, dans une lettre à Winnie datée du 1er août 1970. "J'ai l'impression que toutes les parties de mon corps, chair, sang, os et âme ne sont plus que de la bile, tant mon impuissance absolue à te venir en aide dans les moments terribles que tu traverses me rend amer".


Même poussé par les éditeurs, il refuse en revanche de s'apesantir sur leur séparation, peu après sa libération. Ses lettres depuis le pénitencier de Robben Island, au large du Cap, où il a passé 18 de ses 27 années d'incarcération, racontent, au-delà du combat politique, les souffrances d'un prisonnier.


Dans une lettre à un ami, il décrit l'importance des visites qui viennent briser "une monotonie frustrante" avec, chaque jour, les "mêmes visages, mêmes dialogues, mêmes odeurs, mêmes murs s'élevant vers le ciel".

 

Rectifier une "fausse image"

L'autocritique est présente aussi comme lorsque le prix Nobel de la paix 1993 avoue, dans une missive, être horrifié par la "pédanterie", l'"artificialité' et le "manque d'originalité" de certains de ses premiers écrits ou discours.


Au fil de ces archives personnelles transparaît le souci de rectifier "une fausse image" qu'il devient vite conscient d'avoir "sans le vouloir" projetée dans le monde : celle d'un saint. "Je ne l'ai jamais été, même si l'on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s'améliorer".

 

Avec AFP

 

(1) Nelson Mandela, Conversations avec moi-même : Editions La Martinière, 484 p., 23 

 

 

"Nelson Mandela voulait se libérer d'un fardeau" 

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En France, c’est aujourd’hui qu’est mis en vente le dernier livre de Nelson Mandela, Conversations avec moi-même. La sortie mondiale de ce recueil d’archives privées a eu lieu il y a déjà deux jours. Publié dans vingt-deux pays et traduit en vingt langues, cet ouvrage composé de lettres, de journaux intimes relate la souffrance d’un homme longtemps tenu éloigné des siens. On y trouve aussi quelques réflexions du père de la nouvelle Afrique du Sud. “Madiba” (du nom de son clan) refuse d’être “un saint”, mais son humilité ne fait qu’accroître sa popularité.

 

Verne Harris est le responsable du centre de la mémoire de la Fondation Nelson Mandela. Il a supervisé la réalisation de cet ouvrage. Etat de santé de Mandela, censure, Algérie de 1962, etc. Entretien. 

Comment va Nelson Mandela ?

C’est un homme de 92 ans. Il a des bons et des mauvais jours. Il n’entend plus très bien, et ses genoux le font souffrir.

Qu’apporte ce nouveau livre ?

Contrairement à son autobiographie Long Walk To Freedom, ses écrits dans ce recueil n’ont jamais été retouchés. On découvre donc la voix très personnelle de Nelson Mandela. Peu de gens la connaissent. Il aborde aussi des sujets dont il n’avait jamais parlé auparavant comme le délitement de son premier mariage, les accusations de sa première femme, Evelyn, comme quoi il aurait porté la main sur elle, ses relations avec Winnie et Graça Machel.

Il évoque aussi l’Algérie de 1962.

Cette année-là, il a été au Maroc pour faire des entraînements militaires avec des indépendantistes algériens. Il a beaucoup appris à leurs côtés, et cela l’a influencé ensuite pour mener la lutte de libération en Afrique du Sud.

Le 17 janvier 1977, il écrit : « colporter des ragots sur les autres est certainement un vice, mais sur soi c’est une vertu ».

Il sait rire de lui-même. Selon moi, c’est ce qui le différence de tant d’autres grands dirigeants qui se prennent trop au sérieux. C’est aussi une réponse à la souffrance. Il y a quelques années, je me rappelle l’entendre rire de ses pertes de mémoire, de ses forces physiques qui s’affaiblissaient. C’est douloureux pour lui d’être obligé d’être aidé pour sortir d’une voiture ou de se lever d’une chaise. Il a sa fierté.

A-t-il censuré une partie de ses archives privées ?

Non. Il nous avait dit : « mettez dans le domaine public ce que vous estimez approprié ». Quand on allait le voir pour lui poser des questions ou lui demander de choisir, cela l’ennuyait. « J’ai mon journal à lire » disait-il en ajoutant : « ce n’est pas à moi, mais à vous de prendre ces décisions ».

Pourquoi ?

Relisez la dernière phrase du livre : « L’un des problèmes qui m’inquiétait profondément en prison concernait la fausse image que j’avais sans le vouloir projetée dans le monde ; on me considérait comme un saint. Je ne l’ai jamais été, même si l’on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer ».

En 2004, il nous a téléphoné en disant : « venez, j’ai quelque chose pour vous ». On a été chez lui. Il a nous montré un grand carton. Je suis resté là-bas pendant une heure, complètement stupéfait. Il y avait des journaux intimes, les calendriers de ses années de prison, sa carte de membre de l’église méthodiste datant de son adolescence. Je n’en croyais pas mes yeux. Toute cette richesse, tout cela méticuleusement conservé pendant toutes ces années. Livrer ses archives personnelles, c’était une façon pour lui de se libérer d’un fardeau, celui d’une vie extraordinaire, celui d’être le conteur fondateur de l’Afrique du Sud post-apartheid. C’est un poids terrible pour un simple être humain. 

D’où lui vient cette habitude de tout noter, tout conserver ?

Il a été avocat et très vite, il a saisi le pouvoir des notes, du compte-rendu. C’est un avantage de toujours savoir qui a dit quoi à quel moment. Puis, après 1990, il a pris conscience que sa propre mémoire s’altérer alors qu’il devait mener des négociations longues et complexes. Mais Madiba notait tout, de façon obsessionnelle. Il me fait penser à Leonard Cohen qui a écrit la chanson Chelsea Hotel sur un bout de serviette en papier. Leurs archives se ressemblent. Quand Mandela échangeait à table des petits mots écrits avec des participants aux négociations, il les rangeait ensuite tous dans un dossier.

Est-il un homme qui prenait soin de sa communication ?

Très tôt, il a eu conscience de son destin, et très tôt, il a eu cette intuition qu’il fallait faire attention à l’image, au style. Il y a quelques années, il nous embêtait car on fumait dans la fondation. Il n’aime pas cela. On lui a remontré une photo des années 1950 sur laquelle on le voit fumer. Sa réponse ? « Je ne fumais pas vraiment, mais c’était à la mode, et pour être parmi les gens qui comptaient à cette époque-là, il fallait être parmi les fumeurs ». Il a compris que son image était un très puissant instrument politique. Ceci explique sans doute en partie pourquoi il était si formel dans ses correspondances privées. Ses phrases étaient très bien construites. Il écrivait toujours un brouillon qu’il corrigeait ensuite. Il savait que tout serait relu par les censeurs de la prison.

Toutes ses archives privées n’ont pas été retrouvées. Une partie d’entre elles avait été confisquée par les autorités de l’époque. Pourquoi la National Intelligence Agency (service de renseignements sud-africain) est-elle aujourd’hui encore réticente à ouvrir ses portes ?

Lorsque j’étais à la Commission Vérité et Réconciliation, on nous avait dit que tout avait été détruit. Aujourd’hui, grâce à la loi d’accès à l’information, on a pu faire une nouvelle demande, et cette fois, on nous a montré un nombre significatif de documents. Mais on nous a suggéré qu’il y en avait bien plus encore…

Contrairement à ce qui s’est passé en Allemagne de l’Est où les archives de la Stasi ont par la suite été ouvertes, l’Afrique du Sud n’a pas vécu de révolution, le gouvernement n’a pas été renversé. A l’inverse, ce fut une longue période de négociations avec des accords conclus. A la place, on ne connaît toujours pas la teneur de tous ces accords secrets. Certaines archives ont dû être détruites par consentement mutuel. D’autres sont enterrées pour au moins une génération.

En saura-t-on davantage sur Nelson Mandela dans vingt, trente ans ?

Oui, absolument. Ce livre n’est qu’une étape. Il y a encore un long chemin à parcourir. Il y a des questions que nous ne nous sommes pas encore posées. Les questions les plus difficiles comme celle sur le bilan de ses années comme président. A-t-il été bon ? En politique étrangère ? Sur les services publics ? Ce modèle de réconciliation qu’il a personnifié était-il le plus adéquat ? Aujourd’hui, ne paie-t-on pas au prix fort ce choix ? Les archives sont là, mais on est intimidé car Madiba est encore vivant.

Selon vous, Nelson Mandela n’a rien censuré. Peut-on en dire autant de la fondation qui porte son nom ?

Ce livre est un travail « autorisé », et comme tout travail de ce genre, il a des limites. On peut dire certaines choses et d’autres non. Ce travail de questionnement, de réinterprétation doit être fait par d’autres, par des historiens à qui nous donnerons accès aux archives. Nous n’aurions jamais pu sortir le livre sur l’enfance de Nelson Mandela paru en juin dernier. Mais c’est grâce à notre fonds d’archives que cet ouvrage a pu être écrit.

 SOURCE : AFP