MEDIATOR : UN PARFUM DE SCANDALE !

Mediator : l'Assurance maladie mettait en garde dès ...1998 !

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Selon un document que révèle le Figaro, l'Agence du Médicament avait été alertée des dangers du Mediator bien avant son retrait du marché en 2009.


 

«Il nous semble utile d'alerter l'Agence du Médicament sur l'utilisation non contrôlée d'un produit de structure amphétaminique, dans un but anorexigène. Il est en effet assez paradoxal de constater que la prescription de Mediator est tout à fait libre tandis que celle des médicaments du groupe des amphétaminiques est strictement encadrée depuis mai 1995». C'est en ces termes pour le moins choisis que trois médecins de la Sécurité Sociale mettent en garde contre l'usage inconsidéré du Mediator

Dans une lettre que Le Figaro s'est procurée et qui a été adressée le 21 septembre 1998 au directeur général de l'Agence du médicament, à l'époque Jean-René Brunetiere, ils font part de leur inquiètude. Les professeurs Hubert Allemand, médecin conseil de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie, Claudine Blum-Boisgard (CANAM), Patrick Choutet (Mutuelle Sociale Agricole) écrivent également: «Il nous apparaîtrait opportun de procéder à une réévaluation de l'utilité du Mediator dans la stratégie thérapeutique de la maladie diabétique et dans celle des hyperlipidémies.»

Cette alerte, clairement formulée par des professeurs de renom n'a été suivie d'aucun effet, d'aucune mesure à l'Agence du Médicament. Aucune suite n'a été donnée puisque le médicament c ommercialisé en France depuis 1976, n'a été retiré du marché qu'en novembre 2009, soit 11 ans après cette lettre. Il aura fallu attendre dix ans avant qu'une enquête sérieuse soit lancée.

Cette dernière a montré, en 2009, que ce médicament des laboratoire Servier -présenté comme un «traitement adjuvant du diabète» mais en fait anorexigène déguisé et prescrit comme tel-, multipliait par trois le risque d'atteinte des valves cardiaques. Selon l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l'Afssaps, nouveau nom de l'Agence du Médicament), le Mediator serait à l'origine d'au moins 500 décès.

Dans cette lettre du 21 septembre 1998, les médecins de l'Assurance Maladie ont parfaitement compris que le Mediator était un anorexigène et qu'il devait faire l'objet d'une vigilance particulière. Voire d'un arrêt de commercialisation. En effet, en septembre 1997, l'Isoméride, un autre médicament coupe-faim des laboratoires Servier était retiré du marché mondial du fait d'un risque accru et démontré d'hypertension artérielle pulmonaire et de maladies des valves cardiaques. Or, le Mediator et l'Isoméride ont des caractéristiques chimiques très proches. La molécule toxique pour les valves cardiaques produite par ces deux médicaments est la norfenfluramine. Le niveau d'exposition à la norfenfluramine est similaire, que l'on prenne du Mediator ou de l'Isoméride. C'est du fait de cette analogie évidente que les médecins de l'Assurance Maladie réclament à l'époque des mesures contre le Mediator. Malgré cette alerte très forte, rien ne se passe. Pourtant, tous les anorexigènes feront l'objet d'une interdiction totale, au plus tard en l'an 2000. Tous. Sauf le Mediator.

Le Figaro a pu se procurer d'autres documents émanant de l'Agence du Médicament traitant du Mediator entre 1997 et 2009. A la lecture de tous ces procès-verbaux de réunions, il est troublant de constater que régulièrement des enquêtes ou des compléments d'information sont demandées, mais que tout traîne en longueur... Ainsi, dans un compte-rendu de la Commission nationale de pharmacovigilance du 1er octobre 1999, on apprend que: «Le benfluorex (nom chimique du Mediator) a fait l'objet d'une enquête «officieuse» dès 1995 en raison de parenté structurale avec les anorexigènes amphétaminiques (qui sont tous ou presque désormais interdits, ndrl). Cette enquête est devenue officielle en mai 1998.» Après trois ans d'enquête «officieuse», personne n'a été capable à l'Afssaps de mesurer l'importance en terme de risque sanitaire de cette parenté entre les deux médicaments ! On peut aussi se demander pourquoi une enquête est d'abord « officieuse » s'agissant d'une question de santé publique, avant de devenir officielle.

En septembre 1998, à la demande des autorités sanitaires Italiennes, le Mediator fait l'objet d'une enquête au niveau européen. La France et l'Italie en sont les rapporteurs. En question, la similitude chimique entre l'Isoméride (désormais interdit à la vente) et le Mediator (toujours autorisé). Malgré cette enquête, une fois de plus, il ne se passe rien. En tout cas en France. Mediator est retiré en 2003 d'Italie et d'Espagne. Mais est maintenu contre vents et marées dans l'hexagone.

Pour leur défense, les laboratoires Servier, tout comme l'Agence du Médicament justifient le maintien sur le marché français du Mediator du fait du faible nombre de signaux en pharmacovigilance (c'est à dire de déclarations de complications). D'autres ont compris que la classe thérapeutique auquelle appartenait le Mediator était déjà une indication suffisante pour prendre des mesures de suspension, malgré des signaux «faibles».


Quand l'Afssaps autorisait les génériques du Mediator… 

 

En pleine tempête et alors que les études mettant en cause le Mediator se multipliaient, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé autorisait en octobre 2009 la mise sur le marché des génériques du Mediator.


En mars 2009, le Centre hospitalier universitaire de Brest, par la voix de la pneumologue Irène Frachon, prévient les autorités sanitaires françaises de 11 cas de valvulopathies directement attribuables au Mediator. Le médicament de Servier est alors sur le marché français depuis 1976. Si le premier cas de déclaration de pharmacovigilance de 1999 à Marseille n'a pas été pris en compte, celui en revanche de 2006 du Pr Jean-Louis Montastruc sera répertorié.

Le 3 juin 2009, le Dr Frachon se rend à l'Afssaps à Saint-Denis, à un groupe de travail intitulé «Plan de gestion des risques et pharmaco-épidémiologie». Elle leur fait part de ses inquiétudes concernant le lien entre les atteintes des valves cardiaques et la prise de Mediator. Après cette réunion, l'épidémiologiste Catherine Hill envoie un mail le 10 juin à tous les experts de l'Afssaps. Elle évoque un «signal particulièrement clair» entre la prise du médicament et cette maladie cardiaque. Elle juge même «très peu prudent d'attendre pour agir» et note que «si nous étions aux États-Unis, le risque de procès serait très élevé» . Elle rappelle que le médicament a été retiré du marché en Espagne «pour les mêmes raisons» depuis plusieurs années.

Le 7 juillet, Irène Frachon se rend à la commission nationale de pharmacovigilance. On demande à Servier de faire une étude de type cas témoins, or de tels travaux peuvent prendre des années…

Le 4 septembre, nouvelle réunion à l'Afssaps avec l'équipe du CHU de Brest. L'équipe du Dr Frachon reconfirme, à la lumière de nouveaux travaux, qu'il existe bien un lien très fort entre valvulopathies et prise de Mediator.

Le 29 septembre, la commission nationale de pharmacovigilance de l'Afssaps conclut qu'il n'est pas possible de laisser les patients face à un tel risque. L'Agence reconnaît qu'il y a un problème.

Le 7 octobre, malgré ce contexte, une autorisation de mise sur le marché (AMM) est délivrée pour deux génériques du Mediator des laboratoires Mylan et Qualimed.

Le 23 octobre  : la commission note «un signal relatif aux anomalies des valves cardiaques soupçonné depuis plusieurs mois par les données de pharmacovigilance» . Mais à la fin de la réunion, la commission ne rend pas d'avis.

Le 12 novembre, l'AMM du Mediator et de ses génériques est suspendue.

Le 30 novembre, le retrait des pharmacies de tous les médicaments à base de benfluorex (Mediator et génériques) est effectif.