RANDO : SUR LES TRACES ABANDONNÉES DU MORNE GENTY

Tan fè tan, tan kité tan ! L’état de dégradation manifeste de ce magnifique sentier du Morne Genty vient bousculer nos souvenirs d’antan. Cependant, notre émerveillement pour ces monuments naturels du Sud-Ouest nous empêche d’accepter l’inaction de l’ONF et l’absence de valorisation de ces sites exceptionnels qui forgent l’admiration des connaisseurs et des rares visiteurs que nous avons croisés. A travers ce constat c’est aussi la problématique de l’entretien de nos forêts qui se pose, une fois de plus, en attendant que la Martinique puisse disposer de son propre corps de forestiers professionnels. Cet écueil n’a pourtant pas gâché cette inoubliable rando de Martinique-Écologie qui a marié efforts soutenus et découverte de paysages époustouflants.

Dès notre descente en voiture vers le pittoresque village de pêcheurs de Petite-Anse, nous apercevons avec curiosité le Morne Genty, objet de notre escapade dominicale qui s’érige en face de nous, tout en haut, tel un piton aux versants abrupts érigé majestueusement entre le Morne Clochette et le mythique Morne Larcher.

Nous avons pris le parti d’un départ sur le parking de La Charmeuse, la bien nommée. Histoire de se mettre en jambe avant la longue ascension qui nous attendait. La découverte du quartier Fonds Fleury (Anses d’Arlet) où fleurissent les multiples constructions à flanc de morne valait bien cette option ce d’autant qu’il fallait bien préparer les esprits à la principale difficulté du jour : le mur du départ ! Une interminable côte à forte déclivité à vous couper le souffle durant cinq bonnes minutes mais qui n’a pourtant pas dissuadé les nombreux téméraires du groupe.

Arrivée au sommet de cette côte, l’absence de balisage du sentier saute tout de suite aux yeux. Sans nos repérages en amont et nos coutelas bien affilés, nous aurions eu du mal à nous frayer un passage au milieu des broussailles et des branches de Campêche où deux itinéraires se présentent à vous. La trace de droite menant au Bourg des Anses d’Arlet et celle de gauche que nous avons empruntée vers l’ascension du Genty.

Curiosité volcanique culminant à 397 mètres, le Morne Genty est un massif récent (3 millions d’années) d’une exceptionnelle richesse géologique à l’instar des autres volcans éteints du Sud-Ouest de la Martinique. La présence de nombreuses roches d’andésite témoigne d’une forte activité volcanique passée. Cependant, sa faune aviaire est réduite à quelques espèces d’oiseaux que nous avons eu plaisir de découvrir telle cette magnifique didine (paruline jaune), ces rouge-gorges et autres colibris à tête bleue qui affectionnent tout particulièrement la tranquillité des lieux. Quant à sa flore, elle est relativement pauvre mais demeure très emblématique de nos forêts sèches avec une prédominance de campêches, de poiriers, de bois ti-baume où émergent quelques cactus géants et des agaves caribaeicola (langue de bœuf) dont les longues tiges fleuries s’aperçoivent tout au loin.

Au beau mitan de ce massif forestier verdoyant surgissent les innombrables gliricidias en fleurs en cette période de l’année et qui imposent au paysage plus de cinquante nuances de … rose. Et que dire des nombreuses mares sommitales, témoins d’une activité d’élevage jadis prospère, qui viennent modifier l’écosystème végétal tout en ramenant un peu de fraicheur en ce carême ardent. L’éclairage de Michel Delblond, botaniste marinois, a été très apprécié notamment pour le partage de sa passion des plantes médicinales mais n’a pas dissipé notre inquiétude face à la découverte de nombreuses espèces invasives. Cette présence constitue une réelle menace pour la biodiversité de territoire insulaire comme le nôtre et mérite une attention plus soutenue sur ces massifs du Sud.

Arrivée tout en haut du Morne Genty, nos efforts ont été récompensés par le spectacle grandiose qui s’offrait à nos yeux. L’azur de la mer s’estompait par la présence de quelques cumulus menaçants emportés par les Alizés. A l’horizon, on devine à peine les contours de Sainte-Lucie débarrassée de ses embruns du matin et revigorée par les premiers éclats du jour.

Puis, à notre gauche, c’est le relief escarpé du littoral qui s’étale sous nos regards ébahis depuis l’interminable plage de Dizac grignotée inlassablement par la mer et le bourg du Diamant, bien plus visible que la presqu’île de Sainte-Anne qui disparait dans la brume lointaine. Quant au Morne Larcher, il s’expose devant nous par une façade inhabituelle, presqu’intimiste, à travers une vue magnifique aux couleurs contrastées, entre un vert dominant sur son sommet miraculeusement boisé et une base érodée par un défrichement sans manman. Fort heureusement, son versant sud fait l’objet d’un classement protecteur en réserve naturelle.

Et c’est à cet instant précis, perché sur un bloc d’andésite, que l’on vient à regretter la belle époque où l’on pouvait profiter de cette situation exceptionnelle pour découvrir l’autre versant du Morne Genty avec une vue imprenable sur le bourg des Anses d’Arlet, le Morne Champagne, Grande Anse, le Morne Baguidi, le Cap Salomon, la baie de Fort-de-France, les Pitons du Carbet et plus au loin, la Montagne Pelée. Un cadre distant qui mériterait d’être mis en valeur par l’ONF à travers une politique d’entretien régulier du site envahi malheureusement par les broussailles et autres espèces boisées. Quelques mètres en contrebas, on peut apercevoir dans toute sa splendeur le village de Petite-Anse et son port de pêche fouetté par la brise et le ressac de la mer.

A l’inverse du Morne Larcher, le Morne Genty présente une vue panoramique à 360° qui en fait un site incontournable dans un territoire qui compte faire de la randonnée pédestre un outil de développement touristique d’où notre désappointement devant l’état d’abandon manifeste de ce joyau du Sud.

Louis Boutrin