U.S.A. Présidentielle

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Les Français et Obama

L'éditorialiste du Nouvel Obs. Claude Weill aborde un sujet d'actualité plutôt dérangeant pour les Français. L'Amérique d'Obama détiendrait-elle le monopole des préjugés ethniques, du racisme et des discriminations ? La France au passé colonialiste et esclavagiste si prompte à plébisciter Barack Obama serait-elle prête à élire un Noir à la présidence de la République ? Impensable ! 

Obama et nous

Les femmes fatales, disait l'humoriste W. C.Fields, «on trouve ça joli chez les autres, mais on n'en voudrait pas à la maison». Je me demande si la remarque ne vaut pas pour Barack Obama. Un Noir à la Maison-Blanche ? L'idée séduit, ravit. Selon un récent sondage («leMonde» du 18 octobre), si les Français pouvaient participer à l'élection américaine, ils seraient 68% à voter pour Obama. 5% seulement pour McCain. Un plébiscite. A distance...


Nous aimons Obama, nous admirons Obama, nous votons Obama. Pour ce qu'il est, pour ce qu'il incarne. Comme nous haïssons l'esclavage, la ségrégation raciale, la discrimination sous toutes ses formes ces péchés originaux de l'Amérique. Nous sommes le pays des droits de l'homme, non ?

Mais écoutons-nous vraiment Obama ? «Il n'y a aucun autre pays sur la terre où mon histoire aurait été possible», assénait-il dans son admirable discours de Philadelphie. La phrase a été peu relevée. Elle mérite d'être méditée. On peut, bien sûr, se récrier. Mais à votre avis, en France, quelles chances aurait le fils d'un immigré africain de sortir dans les premiers de l'ENA (l'équivalentde Harvard) et d'être élu président de la République à 47 ans ? Tous obamistes.A droite comme à gauche.

Et même au gouvernement. En privé, ils le confient. Mais l'ont-ils seulement entendu, quand, commentant les diatribes antiaméricaines de son ancien pasteur, Obama refusait d'«écarter cette colère d'un revers demain sans en comprendre les racines» ? Il a suffi que quelques centaines de gamins sifflent «la Marseillaise» au Stade de France pour déclencher, dans la majorité, un festival d'indignation surjouée. Un championnat de démagogie. Pas question, là, de «comprendre les racines»  qui ne sont pas sidifficiles à comprendre. On cogne, on insulte, on stigmatise. «Pas de pitié avec ces gens-là !», ose Fadela Amara, qu'on croyait chargée de pacifier les banlieues.

Il serait si commode, si confortable, pour nous autres Français, de nous convaincre que les préjugés ethniques, le racisme, les discriminations sont une spécificité américaine. Que notre République estnaturellement immunisée. Que les cicatrices du colonialisme n'ont rien à voir avec les fantômes de l'esclavagisme qui hantent la conscience américaine. Vingt ans de crises des banlieues, d'émeutes sporadiques, d'échecs de la politique dela ville montrent qu'il n'en est rien. Nous avons, nous aussi, un problème deminorités, qu'on ne peut pas rabattre sur la question sociale.

Parce que les handicaps sociaux et lesdiscriminations liées aux origines ne se confondent pas : ils se cumulent et se renforcent. Ils appellent des mesures différenciées. Qui passent d'abord par un diagnostic lucide.


C'est précisément le sens du message qu'Obama adresse à l'Amérique: ce n'est pas en déniant les clivages hérités du passé qu'on les surmontera, c'est en les regardant en face; ce n'est pas en psalmodiant les grands principes qu'on réalisera l'égalité des droits et des devoirs pour tous les citoyens. C'est en agissant. Comme l'Amérique a entrepris de faire depuis les années Kennedy.

Elle l'a fait à sa manière. Imparfaite sans doute, comme touten ce bas monde. La politique de promotion des minorités a connu des ratés. Elle a eu des effets pervers. Mais elle a permis aussi des avancées spectaculaires. Dans les faits et dans les consciences. Délégitimé les préjugés raciaux. Ouvert aux gens de couleur des perspectives qui leur étaient interdites. Sans quoi l'Amérique de 2008 ne serait pas ce qu'elle est. Et Obamane serait pas aux marches de la Maison-Blanche. Qu'il soit élu ou battu, son éclatante réussite montre le chemin parcouru.

Et à nous Français, celui qui reste à parcourir.Parmi les gamins en mal d'identité qui huaient «la Marseillaise», ce 14 octobre comme Barack, adolescent, s'est lui aussi cherché, dans le doute et parfoisla rage , combien y avait-il de futurs Obama français ?

ClaudeWeill
 Le Nouvel Observateur